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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

âme ; qu’une sèche compilation dénuée de sanction morale et d’autorité philosophique.

Dirigés par ces principes, les fondateurs de la Biographie universelle s’éloignèrent judicieusement des systèmes suivis par leurs devanciers, et n’en adoptèrent, en réalité que l’ordre alphabétique, indispensable dans ces sortes de compositions. Mais la concision substantielle et vive qui facilité l’étude et l’appréciation de tant de noms et d’événements divers ; l’art d’éclairer et de guider le jugement au milieu d’une longue succession d’hommes et de choses si souvent sans enchaînement et sans analogie, l’unité de conception et de but, une analyse nerveuse constamment proportionnée à l’importance et à l’intérêt des sujets ; ce sont là, les qualités qui appartiennent exclusivement aux auteurs de ce beau monument historique. Aussi ne leur refuse-t-on pas l’honneur d’avoir, les premiers, éclairci les difficultés et posé les modèles du genre. On a pu les imiter, les suivre dans la carrière qu’ils ont ouverte, mais personne ne les a dépassés.

Pour obtenir cet admirable ensemble, il fallait plus que le concours de tout ce que la France possédait de penseurs profonds et d’écrivains habiles, plus que de l’érudition, plus que de la critique, de la philosophie et du style : il fallait que les collaborateurs si multipliés de la Biographie universelle, notables de la science et des lettres, habitués à faire école, et pénétrés par conséquent du sentiment de leur autorité personnelle, consentissent à se communiquer leurs travaux dans de fréquentes réunions, et à soumettre la pensée de chacun à l’examen de tous. Il appartenait à des hommes supérieurs de donner l’exemple de cet échange fraternel d’idées, de ce sacrifice de la raison individuelle à la raison collective, et de cette abnégation dans l’intérêt général, seuls capables de produire l’identité de plan.

C’est dans ces réunions que l’auteur du Printemps d’un proscrit sentit, pour la première fois, se révéler sa vocation pour l’histoire ; c’est là que le littérateur dans lequel on ne voyait encore que le plus brillant élève de Delille, donnait, avec autant de convenance que d’aménité, des conseils pleins le discernement à des historiens de profession, et s’exerçait aux méditations qui depuis ont valu à la France littéraire l’Histoire des Croisades.

À côté du savant Michaud, Suard, le Nestor de la Biographie, traçait des chefs-d’œuvre du genre ; Auger, son digne successeur à l’Académie française, marchait sur ses pas ; autour d’eux se pressaient tous les beaux génies de l’époque, les Cuvier, les Delambre, les Biot, les Sismondi, les Ginguené, les Villenave, les de Feletz, les de Sacy, les Benjamin Constant, les Raoul-Rochette, les Clavier, les Boissonade, les Rémusat, les Walkenaer, les Visconti, les Malte-Brun ; les Lally-Tollendal, les Guizot, les de Barante, les Daunou, les Lacretelle, les Artaud et madame de Staël ; plus tard, les Chateaubriand, les Villemain, les Humboldt, les Salvandy, les Cousin, les de Gérando, les Quatremère de Quincy, les Tissot, etc. : rare et admirable coalition de talents et de lumières, où ces intelligences, si puissantes isolément, venaient multiplier leur force par leur nombre ; où, sous une direction à la fois unique et commune, ces mains habiles s’appliquaient avec émulation à tailler et sculpter la pierre que chacun apportait à l’édifice de tous.

Tant d’esprits solides et élevés ne pouvaient manquer d’envisager de haut une telle œuvre. Elle devait ne faillir ni par l’excès de l’ambition, ni par l’excès de la modestie.