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avec amertume. » On pourrait peut-être excuser l’emportement de Jean Bernoulli à l’égard de Taylor, en le rejetant sur la juste impatience que devait lui causer l’espèce de guerre que les géomètres anglais faisaient à Leibnitz, pour le dépouiller de ses droits à la découverte des nouveaux calculs, et dans laquelle il tint tête à tous les adversaires de cet illustre géomètre ; mais il se montra évidemment injuste dans le dédain qu’il affecta pour les travaux de Côtes et de Taylor. Son ressentiment fut plus légitime envers Keil, qui suscita la querelle, et se compromit ensuite jusqu’à proposer à Jean Bernoulli un problème que lui-même ne savait pas résoudre. Nous n’entreprendrons pas de justifier la conduite de Jean Bernoulli envers son frère : ses torts évidents, même à l’époque du démêlé, ont paru encore plus graves par une lettre de Jacques Bernoulli que M. Bossut a fait connaître en entier (Journal de Physique, septembre 1792), et dont Jean Bernoulli avait eu le crédit de faire supprimer la plus grande partie, lorsqu’on l’imprima dans les Actes de Leipzig. Se trouvant importuné de l’espèce d’ascendant que le titre de maître donnait à son frère sur lui, Jean Bernoulli le provoqua plusieurs fois par des défis qui le fatiguèrent, et, pour les faire cesser, ou pour prendre sa revanche, Jacques lui proposa le problème des isopérimètres. Jean se trompa d’abord, peut-être par trop de précipitation ; son frère l’invita plusieurs fois à revoir ses calculs, et s’engagea, non seulement à lui prouver son erreur, mais à deviner l’analyse qui l’avait conduit à ce faux résultat, et qu’il tenait soigneusement cachée. Jacques, comme nous l’avons dit dans son article, eut raison sur tous ces points. Jean, néanmoins, ne se rendit pas ; il adressa, par la voie des journaux, des lettres pleines d’aigreur à son frère, qui ne lui répondit jamais qu’avec modération ; et ce ne fut qu’après la mort de celui-ci, qu’il parvint à une solution exacte, la même, au fond, que celle de Jacques Bernoulli, mais moins élégante dans les détails. En scrutant avec impartialité toutes ces disputes, on y trouve des torts de chaque côté, et l’on n’y peut méconnaître l’influence de ce triste désir de dominer, si fatal à la société, qui entre dans le cœur de tous les hommes, et s’y déguise sous mille formes diverses, sans jamais disparaître tout-à-fait. Forcés de montrer ici quelques faiblesses du savant dont nous donnons la notice, nous nous empressons de faire remarquer qu’on aurait tort d’en conclure qu’il repoussa toujours le mérite. Sa constante amitié pour Leibnitz, placé encore plus haut que lui dans l’opinion, et l’accueil public qu’il fit aux premiers essais d’Euler, dont il fut le maître, éloignent entièrement cette idée ; il prouva qu’il savait mettre de la politesse dans la discussion, lorsqu’il releva les principes erronés que le chevalier Renau proposait pour fonder la théorie de la manœuvre des vaisseaux. Il eut aussi des débats avec les théologiens : une dissertation sur la nutrition , qu’il publia à Groningue, où il était alors professeur, et dans laquelle il prouvait que les corps perdent journellement de leurs parties, et en reçoivent de nouvelles, le fit accuser d’impiété, eu soutenant une opinion contraire au dogme de la résurrection des morts. Il repoussa ces chicanes théologiques avec la vigueur et la causticité qu’il mettait dans la dispute ; mais il ne voulut pas que sa réponse fût insérée dans ses œuvres. La dissertation dont nous venons de parler n’est pas le seul écrit physiologique qu’il ait mis