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châtel pour y apprendre la langue française et le commerce ; mais, entraîné, comme son frère, par le goût des sciences, il négligea tout ce qui leur était étranger, et, après avoir appris de lui les mathématiques, il le suivit de près dans la carrière des découvertes. Les problèmes où il s’agit de trouver la courbe que forme par son poids une chaîne suspendue par ses deux extrémités, et la courbe le long de laquelle un corps descend d’un point à un autre dans le moins de temps possible, problèmes imaginés, mais non résolus par Galilée, furent les premiers essais de Jean Bernoulli dans l’application des nouveaux calculs. Ce n’est pas ici le lieu d’énumérer tous les succès de ce genre qu’il obtint dans sa longue carrière ; nous citerons seulement deux de ses découvertes les plus remarquables : le calcul exponentiel, c’est-à-dire les procédés pour différencier et intégrer les fonctions à exposants variables, et la méthode pour intégrer les fractions rationnelles, dont cependant il me semble que Leibnitz doit partager l’honneur. Ardent promoteur des nouvelles méthodes, il fut en correspondance, et souvent en discussion avec la plupart des savants de son temps. Il donna et reçut des défis qui contribuèrent beaucoup à l’avancement de la science. Dans un voyage qu’il fit à Paris, en 1690, il alla passer quelque temps à la campagne du marquis de l’Hôpital, pour l’initier dans ces méthodes. Ce géomètre, le premier en France qui se soit occupé du calcul différentiel et intégral, en tenait donc immédiatement les principes de Jean Bernoulli; mais les questions difficiles qu’il a incontestablement résolues par lui-même prouvent l’injustice des réclamations tardives par lesquelles on essaya, après son décès, d’attribuer à Bernoulli le Traité des infiniment petits ; et Jean Bernoulli, si riche de son propre fond, a manqué à la délicatesse en favorisant, ou en ne faisant pas taire des bruits qui attaquaient la mémoire d’un ami auquel il devait de la reconnaissance. Il faut avouer qu’il est impossible de ne pas remarquer, dans la conduite de Jean Bernoulli, quelques excès d’amour-propre, et de la dureté dans son caractère ; sa querelle avec son frère, sur le problème des isopérimètres, dans laquelle il n’avait raison ni pour le fond ni pour la forme ; les diatribes qu’il se permit contre le géomètre anglais Taylor, sont des torts dont il est difficile de l’absoudre ; on n’est pas moins blessé de l’extrême sévérité des critiques qu’il faisait des écrits des autres géomètres, quand on la compare avec la susceptibilité qu’il montrait lorsqu’on reprenait quelque chose dans les siens. On sait aussi qu’il accueillait d’une manière bien peu encourageante les succès de l’un de ses fils même (Daniel), qui, dans la suite, se rendit très célèbre. Celui-ci, étant venu à bout d’un problème difficile dont il avait un peu cherché la solution, et comptant sur quelques applaudissements lorsqu’il la présenterait à son père, il n’en reçut d’autre réponse que celle-ci : « Ne devais-tu pas l’avoir résolu sur-le-champ ? » Ces mots furent dits d’un ton et accompagnés d’un geste qui consternèrent le jeune homme et ne sortirent jamais de sa mémoire ; enfin, loin de se réjouir d’avoir un digne successeur, quand ce fils, en 1764, eut partagé avec lui le prix proposé par l’académie des sciences sur la théorie des inclinaisons des planètes : « Jean ne vit, dit Condorcet (Éloge de Daniel Bernoulli) dans ce fils qu’un rival et, dans son succès, qu’un manque de respect qu’il lui reprocha longtemps