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dans le combat qu’il soutint, peu de jours après, contre Macrin, dont la fuite honteuse lui assura la victoire et le trône du monde. Il écrivit alors au sénat une lettre pleine de modération dans laquelle il promit de prendre pour modèle le sage Antonin, dont il se flattait de descendre ; et telle était la vènération que l’on conservait à Rome pour ce nom auguste , qu’il suffit pour déterminer les suffrages du sénat en faveur d’un enfant inconnu, nourri dans un temple de l’Asie. Le nouvel empereur ne tarda pas à faire évanouïr les espérances qu’il avait données. II partit, il est vrai, de Syrie, pour se rendre à Rome ; mais son voyage, interrompu par des fêtes ou par des jeux frivoles, dura plusieurs mois. Il s’arrêta l’hiver à Nicomédie, sous le prétexte que la rigueur de la saison l’incommoderait, et envoya cependant son portrait au sénat avec ordre de le placer sur l’autel de la victoire. Il s’était fait peindre revêtu de ses habits pontificaux, couvert de colliers et de riches bracelets, et la tête ornée d’une espèce de thiare où brillaient les pierres les plus précieuses. À cette vue, dit Gibbon, les patriciens avouèrent, en soupirant, que Rome, asservie par le luxe efféminé du despotisme oriental, éprouvait le dernier degré d’avilissement. Arrivé à Rome, son premier soin fut de témoigner sa reconnaissance au dieu Élagabale[1], pour la protection qu’il en avait reçue ; et il fit élever, en son honneur, un temple magnifique sur le mont Palatin : il fit venir d’Éphèse la pierre noire qu’on y adorait comme l’image du Dieu, la plaça avec respect sur un char attelé de six chevaux blancs, et la conduisit lui-même au temple par un chemin couvert de poussière d’or. Il institua de nouvelles fêtes pour cette divinité, en choisit les prêtres parmi les principaux personnages de l’État et consacra des sommes immenses aux frais des sacrifices. Son zèle ardent pour ce dieu Élagabale l’aveuglait tellement qu’il voulut le déclarer le chef et le maître de toutes les autres divinités : il songea ensuite à lui trouver une compagne, et craignant que Pallas ne l’effrayât par son air guerrier, il se décida pour la lune, fit venir de Carthage l’image de la déesse et les dons qu’elle était supposée apporter à son époux, et ordonna que la cérémonie de leur mariage serait célébrée dans tout l’empire par des réjouissances publiques. Le jeune empereur joignait à ce caractère superstitieux toutes les passions de son âge, d’autant plus vives qu’elles étaient sans cesse exaltées par tous ceux qui l’entouraient. Sa mère elle-même lui donnait le honteux exemple de tous les désordres. Il lui décerna le titre de Très illustre, et établit un sénat de femmes, qu’elle présidait, et où l’on discutait, dans la forme des lois, tous les moyens de varier la volupté de ranimer les désirs éteints par l’excès des jouissances. Il eut, pendant le peu de temps qu’il souilla le trône, trois épouses, et les renvoya l’une après l’autre, sous les prétextes les plus frivoles (Voy. Annia Faustina, tom.XIV, pag. 205.) L’une était une prêtresse de Vesta, qu’il avait enlevée de l’autel ; et il s’excusa de ce sacrilège en disant que « lien ne convenait mieux que le mariage d’un prêtre et d’une vestale. » Mais bientôt, abjurant toute espèce de retenue, il poussa l’extravagance au point de vouloir Changer de sexe ; et il épousa

  1. Élagabale ; de deux mots syriaques, Éla, Dieu, gabal, former ; le Dieu formant ou plastique, dénomination juste et même heureuse pour le soleil. (Gibbon, Hist. de la décad. de l’empire romain, ch. VI, not. 52.)