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soit jaiousie de ses succès, Albéric et Rothulphe, professeurs à Rheims, dénoucèrent au concile de Soissous, en 1122, un Traité sur la Trinité, qu’Abailard venait de composer, aux instantes prières de ses élèves, et qui avait été reçu du public avec un applaudissement universel ; ils parvinrent à le faire condamner comme hérétique. Abailard, aussi malheureux dans ses écrits que dans ses amours, fut obligé lui-même de brûler son ouvrage en plein concile. « Est-ce là, disait-il, les larmes aux yeux, le salaire de mes travaux, et la récompense que mérite la droiture de mes intentions ? » Par une suite des persécutions qui lui furent suscitées, il fut obligé de quitter l’abbaye de Saint-Denis, dont l’abbé Suger était alors le supérieur. Il se retira dans le voisinage de Nogent-sur-Seine, où il fit bâtir à ses frais un oratoire qu’il dédia au Saint-Esprit, et qu’il nomma le Paraclet ou le Consolateur. On l’accusa d’hérésie, pour avoir dédié son église au Saint- Esprit, mais il triompha en cette occasion de ses adversaires. Nommé abbé de Saint-Gildas-de-Ruys, dans le diocèse de Vannes, il invita Héloïse et les religieuses d’Argenteuil à venir habiter le Paraclet ; il les reçut lui-même dans cette retraite, où les deux malheureux ëpoux se revirent, pour la première fois, après avoir été séparés pendant onze ans. Abailard se rendit ensuite à l’abbaye de St.-Gildas, où il trouva peu de consolation à ses chagrins. Il décrit lui-même sa nouvelle retraite : « J’habite, dit-il, un pays barbare dont la langue m’est inconnue ; je n’ai de commerce qu’avec des peuples féroces ; mes promenades sont les bords inaccessibles d’une mer agitée ; mes moines ne sont connus que par leurs débauches ; ils n’ont d’autre règle que de n’en point avoir. Je voudrais, Philinte, que vous vissiez ma maison ; vous ne la prendriez jamais pour une abbaye ; les portes ne sont ornées que de pieds de biche, d’ours, de sangliers, des dépouilles hideuses de hiboux, etc. J’éprouve chaque jour de nouveaux périls ; je crois à tout moment voir sur ma tête un glaive suspendu. » Abailard voulut mettre la réforme dans le monastère de Saint-Gildas ; mais sa conduite, le bruit de ses amours, les pensées profanes qu’il avait portées dans sa retraite, et qu’il exprimait encore dans ses lettres avec une éloquence peu religieuse, ne lui permettaient point d’obtenir la gloire d’un réformateur ; les moines dont il était le supérieur, aimèrent mieux suivre son exemple que ses conseils ; ils lui reprochèrent ses torts, sans chercher à réformer leurs mœurs, et portèrent même la haine contre leur abbé, jusqu’à tenter de s’en délivrer par le poison. Tandis qu’Abailaid était exposé à toutes leurs fureurs, il recevait des lettres d’Héloïse qui lui parlait de la paix qui régnait dans la retraite du Paraclet. « Cette église, lui écrivait-elle, ces autels, cette maison nous parlent sans cesse de vous ; c’est vous qui avez sanctifié ce lieu qui n’était connu que par des brigandages et des meurtres, et qui avez fait une maison de prières d’une retraite de voleurs. Ces cloîtres ne doivent rien aux aumônes publiques ; les usures et les pénitences des publicains ne nous ont point enrichies ; vous seul, nous avez tout donné. » Ces expressions, pleines de tendresse, touchaient d’autant plus Abailard, qu’il était entouré de mortels ennemis ; toutes ses pensées étaient pour Héloïse. Il avoue, dans sa lettre à Philinte, qu’il n’avait pu triompher de l’amour dans