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définitivement éliminé, car il n’y aura plus, dans le domaine tout entier des sciences, un seul fait qui nous imposera cette « extravagance », pour parler comme Lord Kelvin.

Pour résumer en quelques mots les résultats du rapide examen auquel nous nous sommes livrés, les théories mécaniques se sont révélées à nous comme à la fois très compliquées et irrémédiablement contradictoires au fond, donc comme infiniment peu satisfaisantes pour l’esprit. Cette conclusion ne semble-t-elle pas donner raison à ceux qui voudraient, soit les retrancher complètement de la science, soit les y conserver uniquement à titre d’aide-mémoire ?

Mais si, d’autre part, on tente d’embrasser d’un coup d’œil les théories physiques de tous les siècles, on ne peut pas ne pas être frappé du caractère commun des éléments qui les composent. On représente quelquefois, surtout dans des livres de vulgarisation scientifique, l’atomisme comme le dernier mot de la science, comme un résultat auquel celle-ci serait péniblement parvenue. Et comme l’on ne saurait nier la grande antiquité des systèmes atomiques, on a cherché à faire une distinction entre les systèmes des anciens et ceux des modernes, en déclarant que les premiers étaient des « représentations spéculatives arbitraires », alors que les seconds seraient de « véritables découvertes de la science ». Lange déjà, dans son Histoire du mutérialisme, a fait justice de cette allégation de Büchner[1]. En réalité la similitude entre les uns et les autres est parfaite.

Si fragmentaires que soient nos connaissances sur les commencements de notre savoir, elle nous permettent de constater que l’atomisme, sous une forme ou une autre, apparaît à l’aube même de la science. Dans l’Inde, il est complet dès le douzième siècle avant J.-C. ; il y a été, comme le constate son historien, M. Mabilleau, « non seulement la première, mais la plus constante et presque l’unique forme de la philosophie de la nature[2] ». On y relève deux principaux systèmes de philosophie atomistique. Le premier en date, celui de Kanada, se rapproche des idées d’Anaxagore, en ce sens qu’il admet des atomes qualitativement différents les uns des autres. Les atomes de Kanada sont inétendus ; ils sont doués d’une sorte de faculté ou de puissance (qui se rapproche

  1. Lange. Geschichte des Materialismus, 4e éd. Iserlohn, 1882, p. 511.
  2. Mabilleau. Histoire de la philosophie atomistique. Paris, 1896, p. 14.