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ments des corps célestes ne peuvent s’expliquer sans la supposition d’une action instantanée de la gravitation. Mais, dès que cette hypothèse ne sera plus absolument indispensable, dès qu’il sera permis d’attribuer à l’action gravifique une vitesse finie, il est bien certain que cette notion disparaîtra sans retour, car personne n’a jamais admis et l’on n’admettra probablement jamais un saut dans le temps analogue au saut dans l’espace que postule la notion de l’action à distance. C’est bien d’ailleurs ce qui s’est passé pour les autres « forces à distance » qui ont été successivement réduites à une action de proche en proche, dès qu’on s’est assuré que leur propagation exigeait du temps. Hertz, dans son célèbre travail sur les Rapports de la lumière avec l’électricité[1], avait fait ressortir cette évolution et fait pressentir que la gravitation la subirait. Il semble que cette prophétie soit en train de s’accomplir, notamment par les travaux de M. Lorentz, l’illustre physicien néerlandais, de M. Wien et d’autres encore. On a vu plus haut que Laplace avait cru devoir assigner à la gravitation une vitesse de propagation prodigieuse, comme limite inférieure. C’était là, nous dit M. Wien, une erreur de principe. Pour que des calculs de ce genre fussent valables, il faudrait pouvoir accroître ou affaiblir la force d’attraction gravifique d’un corps et observer les perturbations auxquelles ces modifications donneraient naissance. Mais nous sommes complètement impuissants à modifier en quoi que ce soit la gravitation d’un corps, elle reste absolument constante, il ne peut donc s’agir que des changements provoqués par les mouvements des corps célestes. Or, ces changements sont, ainsi que l’a démontré M. Lorentz, extrêmement peu considérables ; ils sont du deuxième ordre de grandeur. Rien ne s’oppose donc désormais à ce que l’on accepte pour la gravitation une vitesse de propagation finie, identique par exemple à celle de l’électricité et de la lumière[2]. Cette théorie ne semble pas encore généralement acceptée par les physiciens. Mais elle compte de nombreux partisans parmi eux ; les noms que nous venons de citer suffisent pour démontrer à quel point elle mérite l’attention. Si elle parvient à s’établir solidement, il est clair que le concept d’une action à distance se trouvera

  1. Hertz. Ueber die Beziehungen zwischen Licht und Eleklrizitæt, Gesammite Werke, vol. Ier, p. 353.
  2. W. Wien. Ueber die Moeglichkeit einer elektromagnetischen Begruendung der Mechanik, Wiedemann’s Annalen. 1901, p. 501 ss.