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endroit de l’espace n’est influencé que par le principe actif de l’endroit immédiatement voisin, tout comme chaque instant est conditionné par l’instant précédent et conditionne à son tour l’instant immédiatement postérieur. Et puis, si l’on abandonne cette restriction en ce qui concerne l’espace, si un corps peut réellement agir, produire une modification dans un endroit de l’espace sans rien modifier dans les espaces intermédiaires, pourquoi ne pourrait-il pas également apparaître dans un lieu éloigné, sans passer par les lieux qui séparent les deux positions ? Pourquoi, puisqu’il agit simultanément partout, n’apparaîtrait-il pas simultanément dans deux endroits différents[1] ? Des suppositions de ce genre, si extravagantes qu’elles paraissent, ont d’ailleurs été formulées dès le xviiie siècle par un M. de Prémontval, et l’on peut voir dans le curieux petit ouvrage où elles sont contenues[2] qu’elles se rattachent très directement au concept de l’action à distance. Il est tout aussi significatif à cet égard qu’un auteur récent, dans un livre qui présente d’ailleurs un réel intérêt[3], ait rattaché l’action de la gravitation à l’hypothèse de la 4e dimension ; c’est sur cette même supposition que les spirites fondent des idées dont la parenté avec celles de Prémontval ne saurait être niée et l’on sait que Zoellner[4] s’en est servi dans un dessein analogue. C’est qu’en effet l’action à distance est destructive de l’idée de l’espace. Cela se fait, comme l’a dit pittoresquement un philosophe célèbre, d’ailleurs partisan de l’action à distance, « derrière le dos de l’espace[5] ». La conception est anti-spatiale ou au moins aspatiale.

La résistance des physiciens est donc justifiée. C’est toujours à contre-cœur que la science a accepté l’action à distance, et ce n’est qu’à son corps défendant qu’elle la conserve. Elle y sera forcée tant qu’il demeurera entendu que les mouve-

  1. « Et, comme plusieurs philosophes ont jugé que, même dans l’ordre de la Nature, un corps peut opérer immédiatement en distance sur plusieurs corps éloignés tout à la fois, ils croient, à plus forte raison, que rien ne peut empêcher la puissance divine de faire qu’un corps soit présent à plusieurs corps ensemble ; n’y ayant pas grand trajet de l’opération immédiate à la présence et peut-être l’une dépendant de l’autre ». Leibniz, Théodicée, § 19, éd. Erdmann, p. 485.
  2. De Prémontval. Vues philosophiques. Berlin. 1761, p. 212-237.
  3. Maurice Boucher. Essai sur l’hyperespace. Paris, 1903. p. 158 et suivantes.
  4. I. C. F. Zoellner. Principien einer elektrodynamischen Theorie der Materie. Leipzig, 1876, p. LXXII ss.
  5. Lotze, l. c., p. 26.