Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, M. J.-J. Thomson résume simplement une situation de fait en déclarant que l’action à distance, bien que les facilités qu’elle offre au calcul l’aient rendue plausible à beaucoup de mathématiciens, est un concept que les plus grands physiciens n’ont jamais pu se résoudre à accepter[1]. Aussi des efforts sans nombre ont-ils été tentés en vue de s’en affranchir. Après Huygens, Hooke, Varignon, Fatio de Duillier, Redeker, Euler, Challis, Guyot, Schellbach, Guthrie, Thomson[2] et bien d’autres s’y sont essayés. La théorie qui a eu le plus de succès est sans conteste celle de Le Sage[3]. Maxwell était d’avis que c’était la seule théorie consistante de la gravitation qui eût jamais été formulée[4]. On sait que l’hypothèse de Le Sage consiste à supposer que la gravitation est le résultat de chocs d’un nombre immense de « corpuscules ultramondains » à l’égard desquels les corps célestes se font mutuellement écran. Les difficultés que soulève cette théorie sont immenses : non seulement il faut supposer qu’un corps de l’épaisseur de la terre est à peu près perlucide à l’égard des corpuscules en question, mais encore il est impossible, comme l’a constaté Maxwell, de mettre d’accord cette théorie ou toute autre hypothèse mécanique avec le principe de la conservation de l’énergie[5]. En outre, Laplace avait indiqué, comme limite inférieure de la vitesse de propagation de la gravitation, une vitesse de 100 millions, ou au moins 30 millions de fois plus grande que celle de la lumière[6] : c’est-à-dire qu’on était obligé de supposer cette vitesse et, par conséquent, celle des corpuscules ultramondains comme à peu près infinie. Il est extrêmement significatif que toutes ces difficultés n’aient pas empêché des physiciens de renom de consacrer de sérieux efforts à l’examen et au développement de cette théorie.

  1. J. J. Thomson. Electricity and Matter. New-York, 1904, p. 7.
  2. Les travaux antérieurs à Le Sage sont énumérés dans la préface de Prévost au Traité de Physique de ce dernier, Paris, 1818, pp. 24 à 33. On trouvera quelques détails sur les travaux postérieurs chez Maxwell. Encyclopœdia Britannica, article Attraction, p. 74 et chez Stallo, l. c., p. 36 ss. Sur la tentative d’Euler, cf. Opuscula, Berlin, 1745, p. 287.
  3. Le Sage a exposé les grands traits de sa théorie dans Lucrèce Newtonien. Mém. de l’Ac. de Berlin, 1792. Le Traité de Physique. Paris, 1818, rédigé par Prévost d’après des notes de Le Sage, contient un exposé plus détaillé.
  4. Maxwell. Encyclopœdia britannica, article Atom, p. 47.
  5. id., ib., article Attraction, p. 65.
  6. La première de ces indications se trouve dans les Œuvres, Paris, 1880, vol. IV, p. 327 ; la seconde ib., vol. VI, p. 471.