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en 1771, Æpinus constatait que l’on considérait toujours les forces comme des « qualités occultes[1] ». Même après Lagrange et Coulomb, et tout en se servant sans scrupule des « forces centrales », beaucoup de physiciens ne cessaient de voir, dans cette conception d’une action instantanée à travers l’espace, une sorte de pierre d’achoppement et presque de scandale pour la physique. On trouvera chez Stallo[2] une longue suite de citations très probantes à cet égard, empruntées exclusivement à des physiciens du xixe siècle. On pourrait en allonger la liste à peu près indéfiniment. Contentons-nous d’y ajouter, comme particulièrement significative, cette déclaration de Sir Will. Thomson (Lord Kelvin) qui estime que l’hypothèse d’une action à distance est « le plus fantastique des paradoxes[3] ». Il est peut-être plus curieux encore que des physiciens dont le parti pris théorique était moins marqué n’aient cessé de témoigner, à chaque occasion propice, combien ils aimeraient pouvoir s’affranchir de l’action à distance. Ainsi Gauss, qui pourtant s’affirme newtonien, estime (alors que rien, au point de vue expérimental, ne justifiait une telle proposition) que pour l’électricité la notion d’une propagation dans le temps serait bien préférable à celle d’une propagation instantanée[4]. De même Faraday, tout en prétendant suivre, en théorie, les idées de Boscovich, éprouvait une grande répugnance contre la conception de forces agissant loin de leur base et sans connexité physique avec leur lieu d’origine[5]. Maxwell déclare qu’il suffirait qu’une théorie scientifique pût, avec quelque probabilité, conduire à une explication de la gravitation pour que des hommes de science y consacrent tout le restant de leur vie[6]. Helmholtz, qui pourtant, comme on sait, avait fondé sa démonstration du principe de la conservation de l’énergie sur l’hypothèse des forces centrales, est du même avis[7].

  1. Rosenberger. Die moderne Entwicklung der elektrischen Prinzipien. Leipzig, 1898, p. 43.
  2. Stallo, l. c., p. 36 ss.
  3. Will. Thomson. Papers on Electrostatics, Londres, 1872, p. 318.
  4. Cf. sur Gauss Larmor. Æther and Matter, Cambridge, 1900, p. 72, et Rosenberger. Die moderne Entwicklung,  etc., p. 70-71.
  5. Cf. Maxwell. Scientific Papers. Cambridge, 1890, vol. II, p. 155 ss, 311.
  6. Cf. ib., vol. II, p. 341.
  7. Hertz, Gesammelte Werke, vol. III, Introduction de Helmholtz, p. xviii.