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devient moins logique, elle manque de cette belle unité que lui a imprimée Boscovich, sans devenir pour cela plus acceptable. Comment admettre que le même atome-point émette simultanément des rayons de force attractive et répulsive ?

Mais voici des objections qui s’appliquent à tous les systèmes purement dynamiques. Il n’est nullement certain que toutes les forces dont on sera obligé de postuler l’existence puissent être considérées comme centrales. Cela est au moins douteux pour les forces moléculaires. Il semble bien que l’action exclusive de forces centrales exigerait certains rapports entre les diverses formes de la résistance des corps, rapports dont l’existence a été démentie par l’expérience. De même, on ne peut expliquer la déformation permanente en supposant seulement des forces centrales. Les phénomènes de cristallisation paraissent aussi exiger que l’action des molécules ne s’exerce pas exclusivement dans le sens de la droite qui joint leurs centres de gravité ; ils doivent pouvoir exercer l’un sur l’autre une action tournante.

L’objection suivante est plus fondamentale encore, puisque c’est le concept même de l’atome purement dynamique qui est en jeu. Pénétrons à travers les forces qui entourent cet atome : le centre de ces forces est un point, c’est-à-dire à proprement parler (puisque le point est une abstraction géométrique) vide. Tous les objets de notre connaissance que nous plaçons dans le monde extérieur ont de l’étendue. Ce qui est inétendu, pouvons-nous en imaginer l’existence dans l’espace ? Nous admettons à la rigueur la force rayonnant du centre, nous nous la représentons comme une droite. Mais, quand elle atteint un autre atome, sur quoi agit-elle, puisqu’elle le trouve vide ? Comment ce rien peut-il résister au mouvement, comment, une fois en mouvement, peut-il le conserver, en un mot comment peut-il posséder une masse, manifester de l’inertie ? « Aucun arrangement de centres de forces, quelque compliqué qu’il soit, ne peut expliquer ce fait », dit Maxwell, et il ajoute : « Aucune partie de cette masse ne peut être due évidemment à l’existence de centres de forces supposés[1] ». Qu’on le remarque bien ; ce n’est pas simplement ce qu’on est convenu d’appeler une qualité occulte, c’est-à-dire une qualité qui ne s’explique pas par celles qui définissent le centre de forces. Non, c’est une pro-

  1. Maxwell, La chaleur, trad. Mouret. Paris, 1891, p. 111-112.