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diaire d’une force : « nullam mutationem motus fieri per impulsionem sed semper per vires agentes in aliqua distantia », et, bien entendu, dans ce système, l’élasticité absolue des atomes et des molécules n’offre plus aucune difficulté.

Il est aisé de se rendre compte pourquoi la « force unique » de Boscovich eut si peu de succès : elle répugne vraiment par trop à notre imagination. Pourquoi change-t-elle à une distance déterminée et comment se peut-elle transformer, à point nommé, de répulsive en attractive et vice versa ? Si cette force unique doit être conçue comme la force du centre, si elle doit émaner de lui, nous nous imaginons forcément que près de l’origine, à une distance très petite du centre, elle devra avoir le même caractère qu’à une distance plus grande, c’est-à-dire qu’elle doit être tout le temps ou attractive, ou répulsive. Or, il est, bien entendu, absolument impossible de construire le monde à l’aide d’aucune de ces deux suppositions. La force de Boscovich est sans doute tout le temps, soit comme force attractive, soit comme force répulsive, dirigée vers le centre, mais elle ne paraît pas émaner de lui.

On peut faire valoir, sans doute, que cette modification de la force est la conséquence d’une loi. Cet argument, qui semble avoir été en quelque sorte préparé par Boscovich lui-même, ainsi que le montre le titre de son principal ouvrage (Theoria… redacta ad unicam legem…) est aussi peu recevable que celui qui consiste à vouloir expliquer le choc élastique des corpuscules par la conservation de l’énergie. En effet, il s’agit bel et bien ici d’une hypothèse sur le mode de production, et non pas d’un simple artifice de calcul comme l’introduction des sinus dans l’énoncé de la loi de réfraction. La manière dont Boscovich expose sa théorie ne nous laisse aucun doute à cet égard, et son argumentation contre l’impénétrabilité n’aurait aucun sens s’il en était autrement. Nous n’avons donc que faire d’une loi.

Aussi ne s’étonnera-t-on pas de ce que les dynamistes aient généralement préféré entourer leur atome-point de forces multiples variant d’après des lois différentes. Tel a été, entre autres, le point de vue de Kant[1]. Ainsi modifiée, la conception

  1. Kant était hostile à l’hypothèse des atomes (Vom Uebergange, éd. Krause, Francfort, 1888, pp. 96-97, 111-112, 164). Néanmoins, ses explications scientifiques dans les Premiers principes (trad. Andler et Chavannes, Paris, 1891), sont entièrement dynamiques, dans le sens que nous donnons à ce terme. Plus tard, dans le Vom Uebergange, il penche un peu plus vers les explications par le mouvement.