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plus ni répulsion, ni attraction. Si l’on s’écarte encore du centre, la force devient attractive, croît, passe par un maximum et décroît de manière à redevenir nulle à une distance donnée. Après quoi elle redevient répulsive, pour croître, décroître et redevenir nulle encore. Ceci se reproduit à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’enfin, à une certaine distance, la force, devenue définitivement attractive, diminue en proportion du carré de la distance, jusqu’à l’infini ou « du moins jusqu’à des distances dépassant de beaucoup celles de toutes les planètes et comètes[1] ». Boscovich représente les variations de cette force par une courbe dont les deux parties extrêmes sont des arcs d’hyperbole ayant pour asymptotes, l’un l’axe des distances et l’autre celui des forces, alors que la partie médiane coupe l’axe des distances à plusieurs reprises.

Le système de Boscovich fut rarement appliqué par les savants dans toute sa rigueur : on entend peu parler de sa courbe de forces unique. Au dix-neuvième siècle, Saint-Venant[2] a repris son hypothèse, en la simplifiant. La courbe de Saint-Venant est encore asymptote aux deux axes, mais elle ne coupe plus celle des distances qu’une seule fois. Il est au moins douteux qu’une courbe unique de ce genre puisse rendre compte des diverses actions moléculaires et atomiques qu’on sera obligé de supposer pour expliquer tous les phénomènes observés. Quoi qu’il en soit, la force unique de Saint-Venant n’a pas eu beaucoup plus de succès que celle de son prédécesseur. Néanmoins, les idées de Boscovich ont exercé une influence considérable sur la science, par le fait qu’il a, le premier, résolument dépouillé l’atome d’étendue : en ce sens, tous les physiciens qui se sont dans la suite servis d’atomes-points dérivent de lui. Boscovich n’a d’ailleurs pas manqué d’appuyer son système sur une critique de la théorie corpusculaire fondée sur des considérations relatives à la transmission du mouvement. « Quid autem est impenetrabilitas ista ? Unde fit ut idem spatium bina corpora occupare non possint ? »[3] Cette impénétrabilité ne peut être qu’une force et toute transmission du mouvement doit s’opérer par l’intermé-

  1. Boscovich, l. c., p. 6.
  2. De Saint-Venant. Mémoire sur la question de savoir s’il existe des masses continues, etc. Paris, 1844, p. 9. — Saint-Venant a changé d’opinion plus tard et tenté d’écarter complètement la notion de force. Cf. Padé, Revue générale des sciences, 1905, p. 765.
  3. Boscovich. De viribus vivis dissertatio. Rome, 1745, p. 33.