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Ces difficultés, nous venons de le voir, se faisaient sentir en grande partie dès le temps de Leibniz et de Huygens. Aussi, quand Newton eût démontré la loi de la gravitation universelle, une théorie toute différente de la matière surgit, théorie qui, fondée sur l’existence de forces s’exerçant à distance, tendait d’abord, comme l’a fort justement remarqué M. Poincaré, à transformer les corps en quelque chose d’analogue à un système stellaire, trahissant ainsi qu’elle prenait son origine dans la mécanique céleste. Cette théorie fut clairement formulée par le physicien anglais Cotes, dans la préface à la deuxième édition des Principes de Newton parue en 1713. Newton lui-même ne s’est jamais prononcé nettement à cet égard, mais il semble probable qu’il fut d’accord sur ce point avec ses disciples[1]. Au commencement du xixe siècle, la théorie parut recevoir sa consécration par la Mécanique analytique de Lagrange[2] et les travaux expérimentaux de Coulomb[3] qui semblaient définitivement assimiler à la gravitation d’autres forces agissant à distance, et notamment l’électricité. Mais, antérieurement déjà, l’hypothèse avait trouvé son théoricien qui la mena jusqu’à son aboutissement logique. Ce fut le Jésuite Boscovich, dont le principal ouvrage parut en 1759[4].

Boscovich suppose que les atomes ne sont pas des corpuscules, mais des points géométriques absolument privés d’étendue. Chacun de ces points est un centre de forces, ou plutôt d’une force unique, identique à elle-même à des distances identiques autour du point, mais variant d’après la distance. À une distance très faible, elle est répulsive et augmente d’intensité à l’infini, à mesure qu’on tend à se rapprocher du centre, de sorte qu’elle est susceptible de résister à n’importe quelle impulsion et que jamais deux centres ne peuvent coïncider. Si l’on s’éloigne, la force répulsive diminue et, à une distance donnée, devient nulle, de sorte qu’il n’y a

  1. Cf. Appendice I, p. 411 ss.
  2. Les opinions de Lagrange ont été admirablement résumées par M. Duhem. L’évolution de la Mécanique. Paris, 1903, p. 43-45 et 71-72 .
  3. Sur l’influence de Coulomb, cf. Rosenberger, l. c., p. 371.
  4. P. Rogerius Josephus Boscovich, Philosophiæ naturalis theoria redacta ad unicam legem virium in natura existentium. Vienne, 1759. On trouvera dans l’introduction de cet ouvrage (p. 3) une liste des travaux antérieurs de Boscovich sur la même matière. — Priestley, qui fut un adhérent convaincu du dynamisme, affirme (Disquisitions relating to Matier and Spirit, Londres, 1777, p. 19) qu’une théorie analogue à celle de Boscovich aurait été formulée simultanément et indépendamment par l’astronome John Michell.