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égaux, dit Newton, se rencontrent directement dans le vide, ils s’arrêteront, en vertu de la loi du mouvement, là où ils se rencontreront, perdront tout leur mouvement et resteront en repos, à moins qu’ils ne soient élastiques et que leur élasticité ne les dote d’un mouvement nouveau.

« Si l’on fait valoir qu’ils ne peuvent perdre de mouvement, sinon ce qu’ils en communiquent à d’autres corps, il s’ensuit que dans le vide ils ne sauraient perdre aucun mouvement mais, quand ils se rencontreront, doivent continuer leur chemin et pénétrer mutuellement l’un l’étendue de l’autre[1]. »

On le voit, Newton ne traite pas très sérieusement le postulat consistant à considérer la conservation de la force vive comme axiomatique ; évidemment, ce principe ne pouvait, à beaucoup près, prétendre à l’autorité dont jouit de nos jours celui de la conservation de l’énergie. Mais ce qu’il y a surtout de remarquable dans ces quelques lignes, c’est qu’il établit que non seulement l’élasticité, mais encore la dureté des corps a besoin d’explication. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce point.

Aussi longtemps qu’il s’agit de billes de billard, il n’est d’ailleurs pas trop difficile, sinon de résoudre la difficulté, du moins de la reculer. Nous pouvons supposer que la tendance au retour à la forme primitive manifestée par la bille et la bande n’est qu’une apparence, et qu’en réalité elle est due à des mouvements moléculaires que nous laissons indéterminés. Mais quand il s’agit du choc des molécules elles-mêmes, nous n’avons plus cette ressource. Si nous supposons alors que leur élasticité est due à des mouvements d’un milieu plus ténu, comme il nous faudra expliquer à son tour l’élasticité de ce milieu, nous devrons en imaginer un autre plus ténu encore, et ainsi à l’infini. C’est une conséquence que Leibniz a aperçue clairement, et qui, d’ailleurs, ne l’a pas fait reculer, comme on peut le voir par un passage de son Essai de dynamique[2]. Mais les physiciens modernes refuseront certainement de le suivre dans cette voie.

  1. Newton. Opticks, 3e éd. Londres, 1721, p. 373. « If two equal Bodies meet directly in vacuo, they will by the laws of Motion, stop where they meet and lose all their Motion and remain in rest, unless they be elastick and receive new Motion from their Spring… If it be said, that they can lose no Motion but what they communicate to other Bodies, the conséquence is, that in vacuo they can lose ne Motion, but when they meet must go on and penetrate one another Dimensions. »
  2. Leibniz. Mathematische Schriften, éd. Gerhardt, vol. VI, p. 228. « Je