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transformer en autre chose, nous devons forcément, après le choc, la retrouver comme énergie cinétique, c’est-à-dire comme force vive[1].

Mais c’est là, vraiment, retourner le problème de manière fort illégitime. La conservation de l’énergie, nous le verrons, n’est pas un axiome et nul ne saurait prétendre que sa disparition fût inimaginable. Si la pression est le résultat de chocs moléculaires, il faut que la force vive se conserve ; produire cette affirmation, c’est simplement constater que la pression du gaz se maintient, c’est-à-dire énoncer une loi et formuler le problème qu’il s’agit de résoudre, et non pas en fournir une solution. Ce que nous demanderions, c’est une théorie nous expliquant comment cela peut se faire mécaniquement, sans qu’on ait besoin de doter les molécules d’une force élastique spéciale.

On peut encore aborder ce problème d’un autre côté. Nous pouvons nous imaginer des corps élastiques et qui, au choc, se déforment de moins en moins. À la limite, la déformation sera nulle et le corps, parfaitement élastique, conservera au choc la totalité de sa force vive. Mais, d’un autre côté, comme le corps en question ne se déforme point, nous pourrons aussi le considérer comme absolument inélastique, et, dès lors, au choc central de deux molécules de vitesses égales et contraires, ces dernières se neutraliseront simplement et les molécules demeureront en repos. C’est-à-dire qu’au point de vue purement rationnel, chaque fois que deux molécules se rencontreront, il y aura indétermination absolue quant aux conséquences — ce qui, évidemment, est contraire au déterminisme qui est la base de toute science.

Il est curieux de constater, par un passage de l’Optique de Newton, que des arguments analogues à ceux tirés de la conservation de l’énergie avaient été mis en avant dès son temps. Ceux-là seuls songeront à s’en étonner pour qui l’historique du principe de la conservation de l’énergie commence avec Mayer et Joule ; mais en réalité, depuis Huygens et Leibniz, le principe de la conservation de la force vive servait déjà, dans bien des occasions, aux mêmes fins. « Si deux corps

  1. Une théorie de ce genre a été, entre autres, formulée par M. Lasswitz, Geschichte der Atomistik. Hambourg, 1890, vol. II, p. 368 ss. M. Kozlowski (Zosady, p. 188) en paraît partisan. Kroman (Unsere Naturerkenntniss, Copenhague, 1883, p. 310 ss.) et Hannequin (l. c., p. 133-134) l’ont réfutée à bon droit.