Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux grands savants, que la question n’a pas fait beaucoup de progrès depuis leur temps.

Mais restons, pour le moment, dans le domaine de la théorie des gaz, plus familier à nos contemporains. On sait que la pression y est représentée comme résultant du choc de particules multiples les unes contre les autres et contre les parois du vase qui les enferme. Comme nous savons par l’expérience que la pression exercée par un gaz dans un vase bien clos et de matière imperméable ne diminue pas avec le temps (à moins, bien entendu, qu’il y ait réaction chimique entre le gaz et la paroi), il s’ensuit que dans les chocs extrêmement nombreux entre les molécules la force vive a dû rester constante.

Nous connaissons des corps qui se comportent à peu près de cette manière : nous les appelons élastiques. Nous dirons donc que les molécules des gaz doivent être considérées comme des corps parfaitement élastiques[1], à peu près comme des billes de billard très perfectionnées ; d’ailleurs, c’est aux billes de billard que les physiciens ont surtout l’habitude de penser en parlant des chocs des atomes. Comment se manifeste l’élasticité de la bille de billard ? Voyons ce qui se passe quand une bille en frappe une autre ou frappe la bande. La bande cède tout d’abord et la bille s’aplatit un peu ; ensuite bande et bille reviennent à leur forme primitive et le rejet de la bille en est la conséquence. Mais pourquoi les déformations, une fois produites, n’ont-elles pas persisté ?

On a tenté, quelquefois, d’esquiver la nécessité d’une explication sur ce point. Dans le choc de corps imparfaitement élastiques, une partie de l’énergie cinétique disparaît ou plutôt se transforme pour se manifester par la déformation des corps et l’accroissement de leur température. Or les molécules sont, par définition, indéformables et, d’ailleurs, elles ne sauraient s’échauffer, puisque c’est précisément leur mouvement qui constitue la chaleur. Par conséquent, nous dit-on, étant donné que l’énergie doit rester et qu’elle ne saurait, en l’espèce, se

  1. Cette condition de l’élasticité parfaite a été clairement postulée par Leibniz, Essay de Dynamique, Mathematische Schriften, éd. Gerhardt, Halle, 1860, vol. VI, p. 228 : « Or cette élasticité des corps est nécessaire à la nature pour obtenir l’exécution des grandes et belles lois que son auteur infiniment sage s’est proposé… » On trouvera chez Stallo, l. c., p. 24, tout un choix de passages de Krœnig, de Clausius, de Cl. Maxwell et de Lord Kelvin, démontrant que ces créateurs de la théorie des gaz ont également dû insister sur le même postulat.