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insolubles ? On l’a souvent affirmé, mais sans en fournir une démonstration tant soit peu valable, et il ne semble pas douteux que l’on a souvent poussé trop loin, en cette matière, le « dogmatisme négatif ». Ainsi, Spir a nié que la théorie mécanique puisse jamais embrasser, non seulement les phénomènes organiques, mais encore la diversité des substances chimiques[1]. Hannequin a déclaré qu’il faudrait toujours un éther spécifique pour chaque classe de phénomènes, les propriétés de ces divers milieux étant « profondément opposées et nettement inconciliables[2] » et a rejeté, en particulier, la théorie électro-magnétique de la lumière[3] ; d’après lui, en descendant à l’atome, la théorie crée simplement « un microcosme où se trouvent rassemblés tous les traits essentiels qu’elle a pour mission d’expliquer » ; on « la surprend toujours par une voie ou une autre transportant à l’atome et à l’individu les qualités requises par le tout qu’il compose[4]. » Nous verrons plus tard qu’il y a une part de vérité dans ces négations, si l’on comprend sous le terme qualité son quid proprium en tant que sensation. Mais si on les prend à la lettre, elles sont certainement inexactes. Si les théories scientifiques étaient à ce point stériles, elles n’auraient même pas une valeur d’apparente explication et seraient, du même coup, inutilisables au point de vue de la liaison à opérer entre les lois ; on ne comprendrait vraiment pas que l’humanité se fût attardée si longtemps et s’attardât encore à des jeux aussi vains, son illusion même devenant proprement inexplicable.

En réalité, il est tout à fait impossible de poser des bornes à l’explication scientifique dans cet ordre d’idées. Bien des obstacles qui paraissaient à peu près infranchissables à un moment donné ont été vaincus ou tournés. Ces différences qui subsistent entre les diverses classes de phénomènes, les savants, au lieu de les accepter comme ultimes, s’efforcent au contraire, par de patientes recherches poussées de tous côtés, de les réduire peu à peu. Il est certain que la théorie électro-magnétique de la lumière a été dans cette direction un pas immense ; de même la théorie des ions, qui semble mon-

  1. Spir. Pensée et réalité, p. 413.
  2. Hannequin, l. c., p. 227.
  3. Ib., p. 217, 222, 223. L’élasticité des deux milieux (électrique et luminifère) accuse « une différence profonde et vraisemblablement irréductible ». C’est là une « opposition fondamentale et vraisemblablement définitive ».
  4. Ib., p. 231, 237.