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CHAPITRE II

LES THÉORIES MÉCANIQUES

En parcourant un livre de vulgarisation scientifique ou de philosophie matérialiste (citons, en guise d’exemple, les Énigmes de l’univers de M. Ernest Haeckel[1], le célèbre biologiste), on pourrait concevoir l’idée que la théorie mécanique est une conception logique, complète et achevée, applicable directement sinon à la totalité, du moins à l’immense majorité des phénomènes naturels. Mais il suffit d’y regarder d’un peu plus près pour s’apercevoir que c’est là une illusion. Que tous les phénomènes de la matière organisée dussent s’expliquer par ceux de la matière inorganisée, c’est ce qui a sans doute toujours été postulé par un grand nombre de penseurs. « Je suppose, dit Descartes, que le corps (de l’homme) n’est autre chose qu’une statue ou machine de terre[2]. » Leibniz écrit : « Tout ce qui se fait dans le corps de l’homme et de tout animal, est aussi mécanique que ce qui se fait dans une montre[3] » et, au xixe siècle, Claude Bernard affirme de même qu’il ne saurait y avoir de barrière « entre la science des corps vivants et celle des corps bruts[4]. » Mais ce sont là, en réalité, de simples postulats et tout observateur impartial est obligé de reconnaître que si quelques progrès ont été accomplis dans cette voie, grâce notamment aux conceptions qui se rattachent aux noms de Lamarck et de Darwin, si, d’autre part, grâce à quelques travaux comme ceux de M. Jagadis-Chunder Bose[5] de

  1. Ernest Hæckel. Les énigmes de l’univers, trad. Camille Bos. Paris, 1902.
  2. Descartes. L’homme, éd. Cousin. Paris, 1824, p. 335.
  3. Leibniz. Opera, éd. Erdmann, p. 777.
  4. Claude Bernard. Leçons sur les phénomènes de la vie. Paris, 1879, vol. II, p. 401.
  5. Jagadis-Chunder Bose. De la généralité des phénomènes moléculaires, etc. Congrès international de Physique. Paris, 1900, vol. III, p. 584 ss.