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mode de production, si énergiquement proscrites par Comte. Ce seraient de simples représentations figuratives, destinées à servir de mémento, à « fixer les idées » comme on dit dans les mathématiques. Si je dis que la benzine contient six atomes de carbone posés en hexagone, je m’exprime inexactement ; ce que je veux affirmer en réalité, c’est que la benzine se comporte à certains égards comme si elle était ainsi constituée. Donc, contrairement à l’apparence, je n’affirme pas l’existence de l’hexagone. Je m’en sers comme d’un terme commode, parce qu’il eût été trop compliqué d’établir un rapport direct entre divers éléments qui sont pourtant tous des éléments de faits. « Les théories mathématiques, dit M. Poincaré en parlant de la théorie de l’ondulation, n’ont pas pour objet de nous révéler la véritable nature des choses ; ce serait là une prétention déraisonnable. Leur but unique est de coordonner les lois physiques que l’expérience nous fait connaître, mais que, sans le secours des mathématiques, nous ne pourrions même énoncer[1]. » M. Duhem déclare de même que la théorie physique n’est pas une explication, mais un système de propositions mathématiques[2] ; elle classifie les lois[3].

On peut, en effet, à l’aide d’un artifice de ce genre, assimiler les hypothèses aux lois, celles-ci pouvant être exprimées par des formules analogues à celle dont nous nous sommes servis pour les premières. Nous dirons donc que les corps célestes se meuvent comme s’ils s’attiraient proportionnellement à leurs masses et inversement au carré des distances, et aussi que le rayon lumineux se comporte comme si les sinus des angles d’incidence et de réfraction devaient observer une certaine proportion. Mais on remarquera que cette manière de s’exprimer paraît naturelle pour la loi de la gravitation (laquelle d’ailleurs a été, en fait, énoncée par Newton à peu près sous cette forme) et non pas pour celle des sinus. C’est que la loi de Newton contient véritablement une hypothèse, une supposition sur la marche réelle des choses, alors que, pour les angles et les sinus, il ne s’agit que d’êtres de notre imagination ; par conséquent, la précaution nous paraît ici complètement superflue.

En d’autres termes, l’assimilation que nous venons de tenter est purement artificielle. Il y a un véritable abîme

  1. H. Poincaré. Leçons sur la théorie mathématique de la lumière. Paris, 1889, p. 1.
  2. P. Duhem. La théorie physique. Paris, 1906, p. 26.
  3. Ib., p. 33.