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Mais, qu’ils fussent partisans ou adversaires de ce qu’on appelait les conceptions « newtoniennes », ils étaient d’accord pour estimer que le phénomène de la gravitation exigeait une explication. Or, ce qu’ils cherchaient, il n’est pas aisé de l’imaginer si l’on veut demeurer dans le domaine de la légalité pure. La loi de Newton est d’une simplicité merveilleuse ; elle est, en outre, absolument générale, puisqu’elle embrasse la totalité de la matière. Sans doute, on peut concevoir des lois plus générales encore, et les contemporains de Newton ont pu prévoir que les phénomènes de la gravitation seraient un jour rattachés, par une règle commune, à telle ou telle autre série de phénomènes. Ce qui paraît étrange, c’est que, unanimement et impérieusement, ils aient réclamé hic et nunc cette « explication », c’est-à-dire quelque chose allant au delà de la loi, et il est presque superflu de faire ressortir que tout le monde, à commencer par Newton lui-même, se servait des termes cause ou raison pour indiquer l’objet de ces recherches. Nous pouvons le caractériser de plus près en remarquant que Leibniz, Huygens et tant d’autres après eux recherchaient une théorie mécanique de la gravitation et que, sans aucun doute, si l’on avait pu en présenter une valable, les partisans de la force à distance auraient été aussitôt forcés de l’agréer.

L’exemple que nous avons cité est-il exceptionnel ? Il est, au contraire, tout à fait typique. Tout le monde sait que la science est remplie de ces théories ou hypothèses mécaniques. Sans doute, il existe des travaux scientifiques et même des livres exposant des chapitres entiers de la science, qui ne contiennent que des lois ou des suppositions relatives à des lois. Mais combien d’autres en diffèrent sur ce point ! Les œuvres des protagonistes les plus illustres de la science — nous avons le choix entre les travaux de Laplace, de Lagrange, de Lavoisier, de Fresnel —, sont remplies d’hypothèses, et, plus près de nous, Maxwell, Lord Kelvin, Hertz, Cornu, M. H. Poincaré, pour ne citer qu’un petit nombre de noms illustres, ont consacré une partie importante de leurs travaux à ces théories.

Cependant la solution de Comte n’est pas la seule possible dans ce cas. Au lieu de supprimer brutalement les théories, on peut tenter de les faire rentrer dans le cadre de la science, c’est-à-dire dans celui des lois (d’après la conception de Comte et de M. Mach) en les assimilant à ces dernières.

Les lois établissent des rapports entre des éléments de fait