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formément au postulat de causalité nous apparaît dans un lointain pour ainsi dire infini. C’est pourquoi ici cause et loi semblent être synonymes, se confondent presque. Quand un historien, pour expliquer la décadence de l’Empire romain, invoque des faits analogues qui se sont produits dans l’histoire d’autres peuples, quand le romancier psychologue « dévisse » son héros pour nous montrer que ses actions, si bizarres qu’elles puissent nous paraître, sont pourtant déterminées par des mobiles que nous connaissons bien chez les hommes de notre entourage et chez nous-mêmes, ils font appel à la légalité. Mais, bien entendu, chaque fois qu’ils le peuvent, ils auront soin de se conformer au postulat de causalité. L’historien alors nous exposera que les progrès du christianisme étaient dus à une tendance mystique antérieure et générale du monde antique, et le romancier psychologue nous fera voir que l’aveuglement fatal du héros était la conséquence de son tempérament passionné au fond, bien que les manifestations en eussent été réprimées auparavant par sa vie active. Loi ou identité dans le temps, c’est là ce qu’il y a au fond de toutes nos explications, même en dehors des sciences physiques, tantôt l’une, tantôt l’autre, le plus souvent l’un et l’autre mêlées sans que nous nous apercevions pour ainsi dire du mélange.

En dehors du trope que nous avons précisé, une autre circonstance encore obscurcit notre conscience au sujet du rôle de la causalité. C’est le manque de précision du terme de cause. La signification que nous venons d’établir n’en épuise pas le contenu tout entier. Il est facile de se rendre compte de cela, en pensant à un acte émané du libre-arbitre. Quand, par un acte de volition, je produis un changement extérieur, ou quand le croyant attribue un phénomène à l’intervention de la divinité (nous avons montré plus haut que ce sont là des concepts connexes), il est certain que je n’hésite point à parler de cause et d’effet. Or, il n’y a ici nulle identité possible, et, qui plus est, j’en ai l’intuition immédiate. Pas un seul instant je ne puis nourrir l’illusion que ma volonté soit quelque chose d’analogue au mouvement qu’elle produit ; il y a donc ici un concept de la causalité foncièrement différent de celui que nous venons d’étudier et qui est fondé sur l’identité. Pour marquer la distinction, nous désignerons ce dernier concept comme celui de la causalité scientifique, et appliquerons au premier le terme de causalité théologique, puisque