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une foule d’autres circonstances, parce que je croyais qu’elles étaient sans intérêt pour mon interlocuteur.

Ainsi, remonter aux causes, pour un phénomène quel qu’il soit, constitue une tâche impossible. Il faut la limiter, se contenter d’une satisfaction partielle. Voilà la raison pour laquelle, en parlant de causes, nous ressemblons tous aux enfants que satisfont les réponses les plus immédiates aux questions qu’ils posent ; ou plutôt à ce fidèle hindou auquel les brahmanes expliquent que la terre repose sur le dos d’un éléphant qui se tient sur une tortue, laquelle est juchée sur une baleine. Tout ce qui nous semble un pas dans la voie des explications, nous le décorons du nom de cause. Nous ne sommes donc pas choqués de ce que ce terme soit employé là où en réalité il est question d’une loi. C’est que la recherche de la loi est comprise dans celle de la cause. En effet, toutes les conditions que nous impose la légalité en ce qui concerne le temps et l’espace, la causalité les exige également ; elle y ajoute une exigence de plus, celle de l’identité des objets dans le temps ; il est donc bien sûr que tant que le lien légal n’existera point, il ne saurait être question d’établir le lieu causal ; en revanche, l’établissement du premier est toujours un pas dans la voie qui mène au second. Nous dirons par exemple que le bas point d’ébullition du pétrole est cause de ce qu’une tache faite avec ce liquide disparaît au bout de quelque temps. C’est que nous avons rattaché ainsi la disparition de la tache aux phénomènes d’ébullition. Si ces derniers (ainsi que nous le présumons) venaient à être expliqués, si nous connaissions leurs causes, celles de la disparition de la tache se trouveraient déterminées du même coup.

Nous procédons d’ailleurs de même en dehors du domaine des sciences physiques proprement dites. Quand nous parlons d’expliquer un phénomène, d’en rechercher les causes, nous cherchons à connaître soit sa préexistence dans le temps — ce qui est appliquer vraiment le postulat de causalité, — soit la règle empirique qui détermine son changement dans le temps — ce qui revient à n’appliquer que le postulat de la légalité, provisoirement et en attendant mieux. Et comme nous avons alors affaire à des phénomènes qui nous paraissent être, au point de vue proprement scientifique, d’une complication très grande — c’est même pour cette raison que nous n’en faisons pas entrer l’étude dans le domaine des sciences physiques proprement dites —, leur résolution con-