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alexandrine, de l’utilisation possible des coniques ? Est-il bien sûr que les doctrines physiques des atomistes anciens, ou celles d’Aristote permissent des applications pratiques au point de vue de la prévision ? On pourrait objecter, il est vrai, que ce n’était pas de la science, mais de la métaphysique. Disons donc tout de suite que l’existence de cette branche du savoir humain suffirait seule, au besoin, pour établir la réalité de la tendance dont nous parlons. En effet, si convaincu que l’on soit de la stérilité de ces recherches, on ne saurait méconnaître qu’en fait l’humanité y a consacré une somme d’efforts immense, que les esprits les plus vigoureux en ont fait leur travail de prédilection. Or, la métaphysique vise, de son propre aveu, à connaître, à comprendre l’essence des choses et ce, comme déjà l’a fait ressortir Aristote, sans aucun but d’utilité. Il faut donc que ce désir soit en nous très fort, et s’il est vrai que le but est inaccessible, la stérilité des efforts constamment répétés est une preuve de plus de la vigueur avec laquelle l’humanité y tend.

Il est d’ailleurs facile d’établir la liaison entre la notion du rationnel et celle de la persistance à travers le temps. Le principe d’identité est la véritable essence de la logique, le vrai moule où l’homme coule sa pensée. « Je conviens, dit Condillac dans la Langue des calculs[1], que dans cette langue comme dans toutes les autres, on ne fait que des propositions identiques, toutes les fois que les propositions sont vraies » et dans sa Logique[2] il affirme que « l’évidence de raison consiste uniquement dans l’identité ».

Toutefois, affirmer qu’un objet est identique à lui-même, cela semble une proposition de pure logique et, en outre, une simple tautologie ou, si l’on aime mieux, un énoncé analytique, selon la nomenclature de Kant. Mais, dès qu’on ajoute la considération du temps, le concept se dédouble pour ainsi dire, car en dehors du sens analytique il acquiert un sens synthétique, comme le dit excellemment Spir. Il est analytique « quand il exprime simplement le résultat d’une analyse du concept, synthétique, au contraire, quand il est entendu comme une affirmation relative à la nature des objets réels[3] ». Mais ce rapport entre le principe de la raison déterminante et

  1. Condillac. La langue des calculs. Paris, an VI, p. 60.
  2. id. Logique. Paris, an VI, p. 177.
  3. Spir, l. c., p. 192.