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Pour découvrir la vraie source du principe, il suffit de se rappeler le nom par lequel Leibniz et bien d’autres après lui l’ont désigné. Il est le principe de la raison déterminante ou suffisante. Là où nous le faisons prévaloir, le phénomène devient rationnel, adéquat à notre raison : nous le comprenons et pouvons l’expliquer. Cette soif de connaître, de comprendre, chacun de nous la sent en lui. Comte, sans la nier absolument, croyait cependant que ce penchant était « un des moins impérieux de notre nature ». C’est une assertion que, semble-t-il, le sentiment immédiat de tous ceux qui s’occupent de science, qui cherchent, contredit impérieusement. De grands savants ont souvent reconnu en eux la force de cette tendance et M. H. Poincaré, notamment, déclare non seulement que nous ne nous résignons pas aisément à « ignorer le fond des choses[1] », mais qu’à son avis ce sentiment est plus fort que celui qui nous pousse à agir. « À mes yeux, dit-il, c’est la connaissance qui est le but et l’action qui est le moyen[2]. » Aristote déjà avait dit : « L’homme a naturellement la passion de connaître[3] » et Spinoza a déclaré que « l’esprit ne juge être utile à lui-même que ce qui conduit à la compréhension[4]. »

D’ailleurs, si l’on fait abstraction de cette tendance de l’esprit humain, l’évolution des sciences devient une énigme. Nous avons vu, il est vrai, que tout savoir est ou sera certainement utile au point de vue de la prévision. Mais c’est une vérité qui est loin d’être immédiatement évidente ; elle serait apparue plutôt comme un paradoxe aux époques où les sciences physiques étaient peu développées. Comment expliquer la très grande ardeur dont l’humanité faisait preuve cependant pour l’acquisition d’un savoir « dont l’objet ne pouvait être ni l’agrément ni le besoin », selon Aristote qui range expressément dans cette catégorie les sciences mathématiques[5] ? Quelle idée pouvait-on concevoir, à l’époque

    désaccord entre le postulai d’identité et la réalité, et y a vu à juste titre une preuve directe de l’aprioricité de ce postulat.

  1. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 258.
  2. id. Sur la valeur objective de la science. Revue de métaphysique, 1902, p. 266.
  3. Aristote. Métaphysique, livre Ier, chap. i.
  4. Spinoza. Éthique, part. IV, thèse 27.
  5. Aristote, l. c. Platon déjà avait fait ressortir que la géométrie, en dépit de l’apparence, ne poursuit aucun but pratique et « n’a tout entière d’autre objet que la connaissance ». (La République, livre VII, Œuvres, trad. Callet. Paris, 1845, vol. I, p. 134).