Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il pas tout simplement un ensemble de rapports légaux ? On peut rendre immédiatement sensible la vérité de cette proposition, en observant que nous ne connaissons un objet que par ses propriétés, et que chaque propriété en particulier peut se formuler de telle manière que l’énoncé soit une loi. Qu’est-ce que le soufre ? C’est un corps solide, jaune, fusible à 66°, bouillant à 145°, produisant par combustion un gaz bien connu sous le nom d’acide sulfureux, etc. Or, en disant : le soufre a une couleur jaune, le soufre fond à 66°, etc., j’énonce incontestablement des lois. Comment se fait-il donc que je stipule l’immutabilité des lois dans le temps et non pas celle des objets ?

Regardons d’un peu plus près notre énoncé des propriétés du soufre. En disant que c’est un corps solide et jaune, avons-nous entendu affirmer qu’il l’est toujours ? Assurément non. Nous savons fort bien qu’il peut être aussi un liquide brunâtre et que, même solide, précipité d’une solution de pentasulfure de potassium, il se présentera comme une poudre à peu près blanche ; d’ailleurs, si nous éclairons un morceau de soufre par de la lumière monochromatique verte, il nous apparaît vert. C’est donc qu’en réalité, pour chaque propriété que nous énoncions, certaines conditions étaient sous-entendues. Si nous avons pu ne pas les spécifier expressément dans certains cas, c’est que nous supposions ce que l’on désigne comme les conditions ordinaires, c’est-à-dire celles que nous constatons dans l’immense majorité des cas, dans le monde qui nous entoure. Ainsi, une température à laquelle le soufre reste solide, l’éclairage par la lumière du soleil ou d’un corps incandescent, font certainement partie de ces conditions ordinaires, et de même, le soufre se trouvant dans le commerce surtout sous l’aspect d’un corps compact, on peut à la rigueur, en énumérant ses qualités, omettre cette condition. Mais pour plusieurs des propriétés indiquées plus haut, nous ne pouvons procéder ainsi. Quand je dis que le soufre fond à 66°, qu’il bout à 145° ou qu’il est combustible, il est clair que ce sont des phénomènes qui ne pourront être observés que si la température s’élève, c’est-à-dire si les conditions ordinaires changent. Sans doute, nous supposons bien qu’à ce phénomène, qui ne se produira que dans des conditions déterminées, correspond, même dans le soufre à température ordinaire, quelque chose, une chose mal définie du reste, ne se manifestant pas constamment, mais susceptible de se manifester,