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Helmholtz[1] en ont expressément réclamé la vérification par des mesures astronomiques. Tait a formulé cette supposition que le système solaire et, avec lui, notre terre pourraient un jour arriver dans des régions de l’espace où la « courbure » de ce dernier se modifierait[2]. Dans cette hypothèse, l’espace ne serait donc plus entièrement homogène et nous pourrions être amenés à rattacher, par une règle empirique, la modification des propriétés des corps à leur déplacement dans l’espace. M. Poincaré[3] a excellemment montré ce que ces suppositions ont d’inadmissible. Ce que nous appelons ligne droite en astronomie, c’est la voie du rayon lumineux, et si nous arrivions à découvrir des anomalies telles que Helmholtz les prévoit, nous les attribuerions certainement à la nature de la lumière et non à celle de l’espace. — D’ailleurs, à supposer que, par impossible, nous parvenions à la conviction que notre espace a un rayon de courbure, nous en conclurions très certainement que cet espace tridimensionnel n’est pas « ultime », mais qu’il flotte dans un autre à quatre dimensions. M. Russell a contesté la validité de cette conclusion, il lui paraît « contraire au véritable sens des idées non-euclidiennes » de concevoir un espace contenu dans un autre espace[4]. Il se peut qu’il ait raison. Mais il constate en même temps que cette erreur est extrêmement fréquente, ce qui indique à notre avis qu’il y a là une tendance naturelle à notre esprit, que nous éprouvons le besoin irrésistible de loger le monde sensible dans un espace entièrement homogène et indifférent au déplacement.

Une autre difficulté est d’ordre plutôt logique. Le raisonnement qui précède repose évidemment sur une distinction entre les objets et les lois. Or, un objet est-il autre chose qu’un ensemble de phénomènes ? Et ces phénomènes étant tous régis par des lois, ce que nous appelons un objet n’est-

  1. Helmholtz. Ueber den Ursprung, etc., Populære Vortræge. Braunschweig, 1876, p. 42-43, et Ueber den Ursprung, etc., Wissenschaftliche Ahhandlungen. Leipzig, 1882, p. 654.
  2. P.-G. Tait. Conférence sur quelques-uns des progrès récents de la physique, trad. Krouchkoll. Paris, 1886, p. 12 ss.
  3. H. Poincaré. Les géométries non-euclidiennes. Revue générale des sciences, II, 1891, p. 774. La science et l’hypothèse, p. 93 ; La valeur de la science, p. 109. Cet argument avait été déjà mis en avant par Lotze. Cf. Russell. Essai sur les fondements de la géométrie, trad. Cadenat. Paris, 1001, p. 128.
  4. Ib., p. 110.