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tances proprement dites et en général tous les êtres qui existent absolument, viennent d’un sujet antérieur, c’est ce qu’on voit clairement. Toujours il y a un être subsistant préalablement d’où naît celui qui naît et devient[1]. » Lucrèce énonce, d’une manière tout à fait générale : Eadem sunt omnia semper, et c’est encore la même idée qu’exprime Cournot avec beaucoup de précision : « Toutes les fois qu’il s’agit de phénomènes de l’ordre physique, si ces phénomènes paraissent de prime abord dépendre de forces ou causes qui varient avec le temps, il est dans les lois de notre intelligence de ne regarder le phénomène comme expliqué que lorsqu’il a été ramené à dépendre de causes permanentes, immuables dans le temps, et dont les effets seuls varient à partir d’une époque donnée, en conséquence des dispositions que le Monde ou les parties du Monde offraient à cette époque : dispositions que notre intelligence accepte, non comme des lois, mais comme des faits[2]. ». Helmholtz qui, nous l’avons vu, a tenté de réduire la causalité à la légalité, a déclaré dans un autre passage que le but final de la science était « de ramener les phénomènes de la nature à des forces d’attraction et de répulsion invariables et dont l’intensité dépend de la distance », et que ce n’est qu’à cette condition que l’on pouvait rendre la nature complètement compréhensible[3].

En résumant ce que nous venons d’exposer, nous dirons que le principe de causalité exige l’application au temps d’un postulat qui, sous le régime de la légalité seule, ne s’applique qu’à l’espace.

Avant de procéder plus loin, nous devons résoudre quelques difficultés.

Avons-nous eu raison de parler de « géométrie » tout simplement ? N’eût-il pas fallu dire plutôt « géométrie euclidienne » ? On sait, en effet, que depuis les spéculations de Lobatschewsky, de Riemann et de Bolyai, la science a dû envisager l’hypothèse d’espaces où le postulat des parallèles cesserait d’être valable. On sait aussi que ces hypothèses ne sont pas restées confinées dans le domaine des mathématiques, puisque non seulement Lobatschewsky[4] et Riemann[5], mais encore

  1. Aristote. Physique, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire, livre Ier, chap. viii.
  2. Cournot. Traité de l’enchaînement, etc. Paris, 1861, p. 276.
  3. Helmholtz. Wissenschaftliche Abhandlungen. Leipzig, 1880, p. 16.
  4. Lobatschewsky. Études géométriques sur la théorie des parallèles, trad. Houël. Mémoires de Bordeaux, t. IV, 1866, p. 120.
  5. Riemann. Ueber die Hypothesenet, etc. Abhandlungen der Kgl. Gesellschaft zu Gœttingen, vol. Xlll, p. 148.