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qu’après t jours l’émanation du radium perdra la n-ième partie de sa radioactivité, nous formulons certainement des lois. Il est d’ailleurs facile de voir qu’en particulier les sciences de l’être organisé sont remplies de lois de ce genre, comme, par exemple : après n mois d’existence, la chenille devient papillon, ou : dans leur n-ième mois, les têtards perdent leurs branchies.

L’analyse à laquelle nous venons de nous livrer en ce qui concerne le temps est, dans une certaine mesure, applicable à l’espace. Ici aussi il suffirait, à la rigueur, pour qu’il y eût ordonnance dans la nature, de connaître les lois en fonction des changements de l’espace. Mais, ici aussi, nous simplifions, en affirmant que la modification de la fonction est nulle, que les lois restent immuables à travers l’espace. Il ne sera peut-être pas entièrement inutile de faire ressortir que cette homogénéité de l’espace à l’égard des lois est indépendante de ce qu’on appelle sa relativité. On pourrait supposer, en effet, que nous sommes forcés de croire à l’indifférence du lieu parce que le lieu véritable nous est inconnu. Il est certain que nous en changeons sans cesse. La terre tourne autour de son axe et aussi autour du soleil, lequel, à son tour, progresse dans l’espace à une vitesse considérable. La probabilité pour que nous revenions jamais au lieu que nous avons occupé un instant est infime. Si donc nous avons pu abstraire des lois, alors que nous étions en train de changer de lieu avec une grande rapidité, c’est qu’apparemment le changement de lieu est indifférent au point de vue de ces dernières. Ce raisonnement serait valable pour l’état actuel de la science. Mais c’est un état relativement récent. Pendant une suite incalculable de siècles, l’humanité a cru fermement que la terre était un plateau immobile, que les lieux marqués par certains objets de taille considérable sur la terre, tels que des montagnes, de hautes constructions, étaient réellement des lieux de l’espace absolu et que l’on pouvait revenir au même « endroit » en marquant la situation par rapport à ces points de repère. Elle croyait aussi que l’espace avait deux directions réelles distinctes des autres, le bas et le haut. En scrutant nos propres croyances, nous verrions que nous ne sommes pas entièrement débarrassés de ces conceptions : nous éprouvons toujours quelque peine à nous figurer les antipodes qui, quoi que nous fassions, nous apparaissent « la tête en bas ». Mais, même lorsqu’ils croyaient que la terre était en bas et les cieux en