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du sablier, l’usure d’une bougie de grosseur uniforme, la production d’une proportion donnée de phosphore rouge ou une diminution donnée dans la radio-activité de l’émanation du radium dureront, chaque fois que nous reproduirons ces phénomènes dans des conditions convenables, autant qu’un nombre déterminé de battements du pendule. On pourrait dire que c’est parce qu’il y a accord entre ces divers phénomènes que nous arrivons à concevoir que le temps s’écoule uniformément. Cependant l’accord entre les phénomènes, tels du moins que nous pourrons les observer directement, ne sera jamais absolu. La meilleure horloge que nous puissions construire aura besoin de temps en temps de corrections ; et l’on suppose que la rotation terrestre, conçue primitivement comme le changement dont la durée devait régler celle de tous les autres, n’a pas strictement chaque fois la même valeur ; elle s’allonge, d’où une accélération apparente du mouvement de la lune. Nous sommes en mesure d’expliquer cette anomalie en disant que la durée de la rotation de la terre se trouve modifiée par l’influence de deux facteurs, le rétrécissement continuel du globe terrestre et les marées ; ces deux causes agissent en sens inverse, mais l’action de la seconde prévaut, et la différence entre les deux actions amène précisément le résultat que nous constatons. Toutefois, le fait même que l’accord ne soit pas immédiatement parfait, que nous le rendions tel, que cet allongement de l’année nous apparaisse comme une anomalie ayant besoin d’explication, nous avertit que le concept de l’absolue uniformité de l’écoulement du temps ne peut être entièrement dû à l’observation des phénomènes, qu’il doit mettre en jeu un principe supérieur. Or ce principe, évidemment, n’est autre que celui désigné par nous comme principe de légalité. Nous n’avons qu’à reprendre la formule de d’Alembert « qu’il se passe durant des temps semblables des effets semblables » et à la rapprocher de celle de M. Ostwald (p. 2) : « Si l’on établit les mêmes conditions, le phénomène se déroulera de même manière. » Il est clair que la première rentre dans la seconde, car l’expression « de même manière » indique forcément que le phénomène doit se dérouler aussi dans un laps de temps identique[1]. D’ailleurs puisque, nous l’avons vu, les lois ont pour but la prévision, il est tout aussi intéressant pour nous de deviner quand les choses se passeront que de con-

  1. Lucrèce, en cherchant à établir que la nature obéit à la loi, insiste également sur la condition de durée (II, v. 173 ss).