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(virtus) qui tentait de la déplacer et que le mouvement qui en résultait devait se régler selon la proportion entre cette inertie et la force motrice. C’était attribuer à la matière, comme nous le dirions aujourd’hui, un coefficient numérique, ce qui est bien la partie essentielle de notre notion de masse. Képler a même reconnu que le concept ainsi créé avait des analogies avec celui de poids, tout en ne se confondant pas avec lui : quae sit ei velut pondus, dit-il, en parlant de la nécessité d’attribuer de l’inertia à un corps céleste (l. c., vol. VI, p. 342). Encore actuellement nous nous servons quelquefois du terme d’inertie dans le sens de Leibniz. Ainsi, quand on parle d’expliquer l’inertie des corps par les théories électriques, on pense surtout à leur masse. Il est certain cependant qu’on peut disjoindre les deux idées. Quand nous énonçons le principe d’inertie, nous ne nous occupons pas de la mise en mouvement du corps ni du coefficient numérique qu’il manifeste à cette occasion, nous le supposons déjà dans un certain état et nous stipulons la persistance de ce dernier. Mais les deux idées sont cependant connexes et c’est ce qui fait que l’on ne saurait entièrement attribuer le concept de masse à Képler. Descartes a pu s’inspirer de lui, mais il en a mieux saisi le contenu, parce qu’il l’a relié au principe d’inertie. — Képler ayant cru, comme Aristote, qu’un corps non soumis à l’action d’une force devait rester au repos (absolu), on pourrait considérer son concept de l’inertia comme étant celui de masse conforme aux idées péripatéticiennes ; mais ce serait, croyons-nous, faire fausse route. Képler se distinguait d’Aristote en ce qu’il ne supposait pas, comme ce dernier, que le mouvement, pour se continuer, avait besoin de la « réaction environnante » ; au contraire, ses idées à ce sujet étaient celles d’Hipparque et de Benedetti (cf. vol. VI, p. 176) et son concept de masse résultait par conséquent plutôt de la notion de la vis impressa.

IV

LE πάντα ῥεῖ D’HÉRACLITE

Héraclite était déjà dans l’antiquité grecque qualifié d’obscur ; il ne faut donc pas s’étonner de voir les modernes discuter sur le véritable sens de sa doctrine. Mais il nous semble bien qu’en fin de compte Schuster (Heraklit von Ephesus. Acta soc. philologiae Lipsiensis, vol. III. Leipzig, 1873, p. 8) ait raison et que l’on se soit exagéré la portée de ces passages sur le πάντα ῥεῖ. La conception selon laquelle Héraclite aurait considéré que seul un ordre des choses demeurait, ordre qu’il aurait symbolisé par le feu, a été mise en avant pour la première fois, semble-t-il, par Ferdinand