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pour en reconnaître le fondement. Nous nous servons, depuis plusieurs siècles, du pendule ; auparavant, on s’est servi d’eau ou de sable s’écoulant par une ouverture, ou même de bougies de grosseur uniforme ; à une époque encore antérieure, avant qu’on sût construire un instrument de mesure quelconque, les hommes mesuraient le temps par la marche apparente du soleil et des étoiles et par les saisons, c’est-à-dire par la rotation et la révolution de la terre, mesures qui, encore aujourd’hui, nous servent de contrôle. Or, tous ces moyens ressortissent au même principe, à savoir que le changement de la nature est d’essence uniforme, qu’il se passe durant des temps semblables des effets semblables. C’est la définition de la mesure du temps formulée par d’Alembert[1] et, après lui, par Poisson[2], et nous pouvons même, actuellement, utiliser dans cet ordre d’idées des phénomènes qui n’ont avec celui du mouvement qu’un rapport très lointain et où, par conséquent, le concept d’inertie n’est assurément pour rien ; nous pouvons, par exemple, prendre pour point de départ la vitesse d’une réaction chimique, disons, pour préciser, la transformation du phosphore blanc en phosphore rouge[3] ou, mieux encore, la diminution de la radio-activité de l’émanation du radium, proposée par Curie et qui paraît, en effet, susceptible de fournir une unité précise[4].

Quel que soit d’ailleurs le phénomène que nous prendrons pour point de départ, pourvu qu’il soit convenablement choisi, c’est-à-dire que nous puissions déterminer d’une manière suffisante les conditions où il doit se produire et en observer la marche avec la précision nécessaire, nous trouverons tous les autres phénomènes se réglant d’après lui. Si nous partons du battement du pendule, l’écoulement d’une masse d’eau ou de sable entre deux traits de la clepsydre ou

  1. D’Alembert. Traité de dynamique, 2e éd. Paris, 1758, p. 13-14.
  2. Poisson. Traité de mécanique, 2e éd. Paris, 1833, p. 204 ss. — On trouvera dans le livre de M. Streintz, Die physikalischen Grundlagen der Mechanik. Leipzig, 1883, p. 81 ss. une excellente discussion des deux principes de la mesure du temps.
  3. Cf. à ce sujet Rud. Schenck, Ueber den rothen Phosphor. Berichte der deutschen chemischen Gesellschaft, XXXV, 1, 1905, p. 352 ss.
  4. On connaît l’importance que la mesure de la diminution de la radioactivité dans le temps a prise dans cette partie de la physique. Elle est considérée comme la propriété la plus caractéristique des corps radioactifs, celle d’après laquelle on décide de leur identité ou non-identité. Cf. Rutherford. Radio-Activity, 2e éd. Cambridge, 1905, p. 223-232, 411, 412, et Mme Curie. Revue scientifique, 17 nov. 1906, p. 654.