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sables, ne peuvent l’être qu’en fonction du changement du temps. Il suffirait donc, strictement parlant, pour que la nature nous apparût comme ordonnée, que nous connaissions la forme de cette fonction, c’est-à-dire comment les lois se modifient à mesure que le temps s’avance.

Cependant, il est certain que dans notre conception des lois nous simplifions leur rapport avec le temps en affirmant que ce dernier est homogène par rapport à elles. Si le soufre, c’est-à-dire un morceau de matière qui nous est connue par tout un ensemble de propriétés physiques, donne naissance actuellement par combustion à un gaz bien caractérisé qu’on appelle l’anhydride sulfureux, nous affirmons qu’il en a été de même aux époques géologiques les plus reculées et qu’il en sera toujours ainsi.

Afin de comprendre pourquoi cette simplification s’impose, il suffit de considérer qu’une modification des lois dans le temps, pour être connaissable, impliquerait une connaissance du temps indépendante des lois. Or, cette connaissance est impossible. Il y a, au sujet des principes sur lesquels repose la mesure du temps, deux opinions antagonistes. Quelques modernes entendent la déduire du mouvement uniforme en ligne droite, c’est-à-dire du mouvement inertial ; cette théorie a été formulée, semble-t-il, pour la première fois par C. Neumann[1], qui a été suivi, entre autres, par M. Ludwig Lange[2] en Allemagne, Hannequin[3] et M. É. Le Roy[4] en France. Mais, à supposer que cette conception soit valable pour l’époque présente, elle ne l’était certainement pas autrefois, car le principe d’inertie est de création toute moderne. Or, il n’est pas douteux que l’humanité a toujours eu très nettement conscience de l’écoulement uniforme du temps et que même, depuis de longs siècles, elle a su le mesurer. Il n’y a d’ailleurs qu’à examiner les moyens à l’aide desquels on effectuait cette mesure,

  1. C. Neumann. Ueber die Principien der Galilei-Newton’schen Theorie. Leipzig, 1870.
  2. Ludw. Lange. Ueber die wissenschaftliche Fassung, etc. Wundt’s philosophische Studien, vol. II. Leipzig, 1883.

    id. Nochmals ueber das Beharrungsgesetz, ib.

    id. Ueber das Beharrungsgesetz. Kgl. Saechs. Ges. der Wissenschaften, vol. XXXVII. Leipzig, 1885, p. 336 ss.

    id. Die geschichtliche Entwicklung des Bewegungsbegriffs. Leipzig, 1886.

    id. Das Inertialsystem, Wundt’s phil. Studien, vol. XX. Leipzig, 1902.

  3. Hannequin. Essai critique. Paris, 1895, p. 79.
  4. É. Le Roy. La science positive et la liberté. Congrès international de philosophie. Paris, 1900, vol. I, p. 331.