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promis par lui ? On sait que Newton détestait cordialement, fuyait systématiquement tout ce qui ressemblait à une discussion, à une polémique. Est-il croyable qu’il ait laissé passer pour siennes des opinions qui forcément devaient choquer ses contemporains, lui attirer des contradictions et des querelles, si ces opinions étaient diamétralement opposées à celles qu’il professait réellement ? N’est-il pas infiniment plus probable qu’il les approuvait tacitement, selon la juste expression de M. Rosenhergor (Geschichte, III, p. 2) ?

À l’égard de ces déductions, à l’égard du sentiment unanime des contemporains et de la postérité immédiate, on cite un certain nombre de textes. Le plus précis en apparence est un passage d’une lettre à Bentley (datée du 25 févr. 1692, Opera, éd. Horsley. Londres, 1785, p. 438) : That gravity should he innate, inherent and essential to matter, so that one body may act upon another through a vacuum, without the mediation of anything else, by and through which their action and force may be conveyed from one to another, is to me so great anabsurdity, that I believe no man who has in philosophical matters a competent faculty of thinking, can ever fall into it. Mais, à y regarder de près, on s’aperçoit que cette déclaration est bien moins concluante qu’elle n’en a l’air. On verra plus bas que Clarke, avec un peu moins d’emphase, s’est exprimé d’une manière à peu près analogue ; et pourtant on ne saurait douter qu’il fût, à notre point de vue, partisan de l’action à distance. Newton ne dit pas du tout que l’action ne lui semble possible que par le contact de deux corps ; il déclare seulement qu’un corps, pour agir sur un autre, a besoin d’un intermédiaire ; il laisse complètement dans le vague la nature de ce « quelque chose », et notamment n’affirme point que ce doit être une chose de nature matérielle. — Il paraît que ce à quoi Newton pensait réellement, c’était l’intervention d’une sorte de milieu ou de principe immatériel ou spirituel dont il avait emprunté l’idée à la doctrine semi-théologique de Henry More, philosophe de la seconde moitié du xviie siècle, dont les conceptions semblent avoir joui d’une autorité considérable à l’époque. On en trouvera l’exposé chez M. Lasswitz (Wirklichkeiten, 2e éd., p. 42 ss.) et l’on y verra comment, les tendances religieuses de Newton aidant, ce qui fut à l’origine une sorte d’article de foi théologique se transforma chez lui en théorie scientifique que son autorité fit ensuite accepter autour de lui. Au point de vue strictement physique, cela est clair, ces conceptions revenaient bien à une action à distance pure et simple. Clarke, dans sa discussion avec Leibniz (4e réplique, § 45, Erdm., p. 762) fait encore allusion à un principe immatériel : « Il est vrai que si un corps en attiroit un autre, sans l’intervention d’aucun moyen, ce ne serait pas un miracle, mais une contradiction ; car ce seroit supposer qu’une chose agit où elle n’est pas