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lors, il ne paraît pas trop hardi de constater une parenté entre ses conceptions et celles de Schopenhauer, qui dit qu’en exerçant un acte de volonté nous nous trouvons « derrière les coulisses de la nature » (cf. chap. ix, p. 284).

Si l’on admet que Leibniz se servait du terme intelligible dans le sens que nous venons d’indiquer, sa déclaration relative à l’intelligibilité complète de la nature (voir plus haut, chap. ix, p. 272) prend un sens très différent. Il semble d’ailleurs qu’on soit forcé d’avoir recours à cette interprétation, car, nous l’avons vu, Leibniz a conçu la sensation comme inexplicable par le mécanisme (p. 265), et le concept de l’harmonie préétablie (p. 277) prouve qu’il rangeait dans la même catégorie l’action transitive ; l’une et l’autre se passant apparemment dans une sphère supérieure aux choses que « l’ange » pourrait expliquer, et ne pouvant être atteintes par une « analyse infinie ». Remarquons, pour éviter tout malentendu, que même en l’interprétant ainsi, le postulat de Leibniz diffère de notre conception, car il suppose que le mécanisme (en négligeant l’irrationnel qu’il recèle), peut entièrement expliquer la nature (à part la sensation) ; alors que, selon nous, cette « explication » par le mécanisme ne vise réellement que l’identité, laquelle est irréalisable comme le montre le principe de Carnot.

Nous avons préféré, dans le texte, prendre à la lettre l’affirmation de Leibniz, parce qu’elle nous offrait l’occasion de préciser notre pensée. Il semble d’ailleurs que Schopenhauer l’ait comprise ainsi ; la déclaration citée par nous (bien que le nom de Leibniz ne soit pas mentionné), y fait certainement allusion ; il est d’ailleurs plus que probable que Schopenhauer n’avait pas conscience de la parenté des conceptions que nous avions constatée.

On sait que Leibniz superposait au monde physique du mécanisme un monde métaphysique de monades ; et la difficulté à laquelle on se heurte en voulant saisir sa pensée devient particulièrement sensible quand il s’agit de comprendre, comme dans la question que nous venons de traiter, comment s’opérait cette superposition.

2o Newton. — Il est certain que Newton n’a jamais expressément affirmé que la gravitation était due à une véritable action à distance. Mais la deuxième édition des Principes, parue en 1713, est précédée d’une préface de Roger Cotes qui contient à ce sujet des déclarations très nettes. La gravitation est une qualité essentielle de la matière, au même degré que l’extension, la mobilité et l’impénétrabilité ; ce n’est pas une qualité occulte, puisqu’on peut directement démontrer son existence : ex Phænomenis ostensum est hanc virtutem revera existere. Peut-on supposer que Newton ait été, dans cette question si essentielle, en désaccord absolu avec son disciple et qu’il l’ait néanmoins laissé faire, au risque d’être com-