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la matière n’aura pas naturellement l’attraction, mentionnée ci-dessus, et n’ira pas d’elle-même en ligne courbe, parce qu’il n’est pas possible de concevoir comment cela s’y fait, c’est-à-dire de l’expliquer mécaniquement », et dans la suite il qualifie cette hypothèse de fainéante et l’accuse de détruire « également notre Philosophie qui cherche les raisons, et la divine sagesse qui les fournit (éd. Erdmann, p. 203). Dans la correspondance avec Clarke qui, datant des années 1715-1716, constitue le dernier des importants écrits de Leibniz (elle est certainement postérieure aux passages sur la force, etc., qu’on cite), il s’exprime, si possible, avec plus d’énergie encore. Transcrivons les passages les plus marquants : 4e écrit, § 45 : « Il est surnaturel aussi que les corps s’attirent de loin, sans aucun moyen ; et qu’un corps aille en rond, sans s’écarter par la tangente, quoique rien ne l’empêchât de s’écarter ainsi. Car ces effets ne sont point explicables par les natures des choses. » — 5e écrit, § 35 : « Car c’est une étrange fiction que de faire toute la matière pesante, et même vers toute autre matière ; comme si tout corps attiroit également tout autre corps selon les masses et les distances ; et cela par une attraction proprement dite, qui ne soit pas dérivée d’une impulsion occulte des corps : au lieu que la pesanteur des corps sensibles vers le centre de la Terre, doit être produite par le mouvement de quelque fluide. Et il en sera de même d’autres pesanteurs, comme de celles des planètes vers le Soleil, ou entre elles. Un corps n’est jamais naturellement, que par un autre corps qui le pousse en le touchant : et après cela il continue jusqu’à ce qu’il soit empêché par un autre corps qui le touche. Toute autre opération sur le corps, est ou miraculeuse ou imaginaire. » — 5e écrit, § 113 : « C’est par là que tombent les Attractions proprement dites, et autres opérations inexplicables par les natures des créatures, qu’il faut faire effectuer par miracle, ou recourir aux absurdités, c’est-à-dire, aux qualités occultes scholastiques, qu’on commence à nous débiter sous le spécieux nom de forces, mais qui nous ramènent dans le royaume des ténèbres. C’est, inventa fruge, glandibus vesci. — § 114. Du temps de Mr. Boyle, et d’autres excellens hommes qui fleurissoient en Angleterre sous les commencements de Charles II, on n’aurait pas osé nous débiter des notions si creuses. J’espère que ce beau temps reviendra sous un aussi bon gouvernement que celui d’à présent, et que les esprits un peu trop divertis par le malheur des temps, retourneront à mieux cultiver les connoissances solides. Le capital de Mr. Boyle était d’inculquer que tout se faisoit mécaniquement dans la Physique. Mais c’est un malheur des hommes, de se dégoûter enfin de la raison même, et de s’ennuyer de la lumière. » Donc, pour rester d’accord avec les faits, il faudrait supposer que Leibniz, d’abord favorable à l’action à distance, se serait finalement tourné du côté adverse, ou bien alors, il aurait changé deux