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nomène pur. On sait avec quelle minutie elles doivent être réglées d’avance pour réussir. Même alors, elles font sur le spectateur l’impression de quelque chose de profondément artificiel ; le professeur apparaît comme une sorte de prestidigitateur. Quiconque a travaillé dans un laboratoire se rappelle avec combien de peine on parvient d’abord à réaliser les expériences en apparence les plus simples décrites dans les manuels. Avec le temps l’habitude se crée, on prend les précautions d’une manière de moins en moins consciente et l’on arrive à croire que les expériences de vérification se font pour ainsi dire toutes seules, sans que nous ayons à contraindre la nature ; de même que l’astronome, à force d’avoir observé et calculé les mouvements des astres, arrive à voir que la lune tombe sur la terre. N’empêche qu’en réalité, pour tout observateur non prévenu, ces deux corps restent à peu près à la même distance. — À l’égard du phénomène directement observé, la loi n’est jamais que plus ou moins approchée ; à l’aide de corrections successives, nous tâchons d’en adapter progressivement l’ensemble de plus en plus étroitement à la véritable marche de la nature. Mais il faut observer que ces nouveaux apports modifient sans cesse la science existante. « La physique ne progresse pas comme la géométrie, qui ajoute de nouvelles propositions définitives et indiscutables aux propositions définitives et indiscutables qu’elle possédait déjà ; elle progresse parce que, sans cesse, l’expérience fait éclater de nouveaux désaccords entre les lois et les faits[1]. » La loi est une construction idéale qui exprime, non pas ce qui se passe, mais ce qui se passerait si certaines conditions venaient à être réalisées. Sans doute, si la nature n’était pas ordonnée, si elle ne nous présentait pas d’objets semblables, susceptibles de fournir des concepts généralisés, nous ne pourrions formuler de lois. Mais ces lois ne sont elles-mêmes que l’image de cette ordonnance, elles ne lui correspondent que dans la mesure où une projection peut correspondre à un corps à n dimensions, elles ne l’expriment qu’autant qu’un mot écrit exprime la chose, car, dans les deux cas, il faut passer par l’intermédiaire de notre entendement.

Le temps s’écoulant sans cesse (c’est l’unique variable indépendante de Newton), les lois, si elles doivent être connais-

  1. Duhem, l. c., p. 290.