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directement la conservation de la masse par la mécanique ; or, cette démonstration est de toute évidence impossible, il y a bien une certaine liaison entre les deux ordres d’idées, mais elle s’opère à l’aide du postulat : Tout phénomène est mécanique. Dès lors, tout phénomène accessoire, toute cause de trouble disparaissant par hypothèse, il est évident que la condition que nous imposions au phénomène mécanique devient générale. — Aux xviie et xviiie siècles, alors que la mécanique était déjà très développée, on ne croyait certainement pas à la conservation de la masse dans les phénomènes chimiques, et il n’y avait là nulle contradiction ; de même que, si demain les observations de M. Landolt sont confirmées et généralisées, notre mécanique restera debout. En résumé : si l’existence d’un ordre dans la nature devait exiger la constance de certains termes, on devrait pouvoir déduire les principes de conservation du concept même de cet ordre. Or, nous n’avons qu’à nous reportera notre analyse des trois principes : aucun n’a pu et ne peut être déduit a priori, tous ont eu besoin d’expériences ; c’est donc que si l’expérience avait prononcé nettement en sens inverse, nous ne les aurions pas énoncés ; la nature cependant, on n’en saurait douter, aurait continué à nous apparaître comme ordonnée. En fait, elle est apparue ainsi à nos ancêtres, et l’humanité a vécu de longs siècles avant de concevoir ces principes. Elle a néanmoins agi, c’est-à-dire prévu, ce qui ne saurait se faire sans postuler la légalité.

Enfin, le principe causal crée encore dans la science la tendance à l’élimination du temps et, par son extension à l’espace, découlant également du principe d’identité, la tendance à l’unification de la matière. Mais ce sont là des conceptions qui n’ont pas le moindre lien avec le principe de légalité. La loi, en stipulant des rapports définis entre l’antécédent et le conséquent, les diversifie nettement par là même, au lieu de les confondre : nous retrouvons ici l’antagonisme entre le principe de légalité et le principe de causalité dans son sens intégral — l’élimination du temps étant en effet une forme très avancée de ce principe. Cela est plus vrai encore pour l’unification de la matière et son aboutissement ultime, la dissolution de la matière en espace ; cet évanouissement complet de la réalité constitue évidemment la conception la plus opposée à celle d’un monde réel, gouverné par des lois inéluctables.

Nous sommes donc amené à conclure que du fait même de la légalité de la nature on ne saurait déduire aucune des