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les atomes d’oxygène), d’où il résulte qu’il doit être extrêmement malaisé de préparer un gramme de matière ne contenant que de l’argent. L’explication est plausible. Mais ce qu’on cherche à expliquer ici, c’est ce fait que l’argent que je rencontre correspond si peu au schéma que je me suis fait, c’est-à-dire précisément le manque d’identité dans ses propriétés ; on ne peut donc pas se servir de cette prétendue identité des propriétés pour en déduire la nécessité de l’atomistique.

Sans vouloir revenir aux idées de Berthollet, on peut même se demander si les énormes difficultés que les chimistes rencontrent pour déterminer tant soi peu exactement les poids atomiques ne proviennent pas de ce que ces constantes ne sont pas réellement immuables, mais varient entre certaines limites. Sir Will. Crookes, entre autres, paraît être de cet avis[1], et l’on peut très bien illustrer cette opinion en ayant recours aux nouvelles théories sur la constitution de la matière. Supposons, en effet, que l’atome chimique soit composé d’un grand nombre de particules (près de mille, nous dit-on), de sous-atomes. Ce serait donc en quelque sorte une molécule, mais une molécule infiniment plus compliquée que toutes celles que nous connaissons. Dès lors, d’après ce que nous savons sur ces sortes de constructions, la nature du sous-atome n’aurait que très peu d’influence sur les propriétés du Tout. Si l’un de ces sous-atomes se trouvait remplacé par un autre, plus ou moins analogue, le Tout aurait encore des propriétés tout à fait semblables : la situation est la même que pour les arbres et les fruits de Lucrèce.

Nous savons d’ailleurs que ce par quoi on prétend constituer ces sous-atomes, ces ions ou électrons, pour leur donner leur vrai nom, n’est autre chose que de l’éther. Les propriétés du composé ne sauraient donc découler de celles du composant, puisqu’il est entendu que ce dernier est unique, partout identique à lui-même. Dira-t-on que c’est au moins la fixité des propriétés de l’éther qui garantit celle des atomes, des molécules, et par conséquent la persistance des lois ? Mais l’éther, nous le savons, ne doit pas avoir de propriétés, ou plutôt il ne doit en avoir que de négatives, puisque ce n’est qu’une hypostase de l’espace. C’est ainsi que nous aboutissons à cette conclusion, que la constance des lois n’aurait d’autre garantie que la fixité des propriétés de l’espace ; c’est, sous

  1. W. Crookes. La genèse des éléments. Revue scientifique, 1887, p. 203.