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pouvons au moins concevoir (et c’est là tout ce qui nous importe pour le moment) que si, par un artifice quelconque, nous parvenions à remplacer une substance jouant un rôle considérable dans l’économie par son homologue supérieur (c’est-à-dire par une substance ayant même constitution, mais où à un atome d’hydrogène serait substitué un groupe CH3), les propriétés de la substance se trouvant très peu modifiées, elle jouerait le même rôle, c’est-à-dire que ce serait encore la même plante.

Ce raisonnement, valable pour Lucrèce, ne semble pas l’être dans la même mesure pour Newton ; il est certain, en effet, que si nous pouvons, avec des matériaux différents, constituer des ensembles semblables, nous ne parvenons pas à les obtenir identiques. Si compliquée que nous nous figurions la substance organique, la substitution à un atome d’hydrogène d’un atome de chlore ou d’un groupe CH3 y provoquera un changement de propriétés qui peut être peu apparent, mais qui doit être néanmoins nettement tranché : c’est que les corps chimiques, selon les théories régnantes, de par la fixité des éléments et la loi des proportions multiples, nous apparaissent comme des espèces absolument définies, sans aucune transition. Mais ces suppositions correspondent-elles à la réalité ? Il est peut-être permis d’en douter.

On se rend compte sans peine, si l’on scrute directement les phénomènes chimiques, que la théorie y met plus de régularité qu’ils n’en comportent réellement. Quand j’affirme que l’argent a telle ou telle propriété, je sais fort bien que, si mon énoncé n’est pas tout à fait grossier, il ne sera pas complètement vrai pour l’immense majorité des morceaux de ce métal qui me tomberont sous la main et qui pourtant constituent bien, en leur ensemble, l’espèce « argent ». Ce que le chimiste entend généralement sous ce nom, c’est ce qu’il désigne plus exactement par le terme « argent pur ». Nous avons déjà parlé des immenses travaux que Stas et ceux qui ont rectifié ses données ont dû entreprendre pour parvenir à ce corps ; évidemment, chaque fois qu’on voudra vérifier les affirmations de ceux qui l’ont tenu entre leurs mains, il faudra avoir recours à des préparations longues et minutieuses. La théorie atomique explique ces difficultés par le nombre immense des atomes d’argent contenus dans un gramme de ce métal et la forte attraction que ces atomes exercent sur d’autres d’un genre différent (par exemple sur