Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore que des combinaisons très simples, les plus simples que nous connaissions. À mesure que nous passons à des corps plus complexes, comme ceux qui forment l’objet de la chimie organique, nous voyons la nature de l’atome composant, influer de moins en moins sur les qualités du composé. Quand, dans une molécule organique un peu compliquée, nous remplaçons un atome d’hydrogène par un atome de chlore, ses propriétés se modifient à peine, alors que le chlore et l’hydrogène sont des éléments doués de qualités extrêmement différentes. La modification est encore moins marquée si nous mettons à la place de cet atome d’hydrogène un groupe composé de carbone et d’hydrogène, comme CH3 ou à la place du chlore le groupe AzO2 ; dans les deux cas pourtant, substituant et substitué diffèrent beaucoup. Par contre, les mêmes atomes, rien qu’en se groupant autrement, peuvent constituer des ensembles manifestant des propriétés aussi distinctes que possible. Les éléments eux-mêmes, dans ce qu’on appelle leurs « modifications allotropiques », en fournissent des exemples probants : l’oxygène et l’ozone, le charbon et le diamant, le phosphore jaune et le phosphore rouge sont sans aucun doute des corps très différents ; pourtant, nous sommes bien obligés de supposer que la matière est restée la même et que son groupement seul a changé. Cela est peut-être plus évident encore si nous examinons les combinaisons, et surtout celles de la chimie organique. À l’origine même de cette science, la célèbre synthèse de Wœhler en offrait un exemple éclatant ; il est difficile d’imaginer deux corps plus différents que le cyanate d’ammonium et l’urée. Supposons une molécule organique un peu compliquée, soit, pour fixer les idées, du chlorhydrate de rosaniline qui est, comme on sait, la matière colorante connue sous le nom de fuchsine. Les atomes qui composent ce corps peuvent, surtout si nous ne nous contentons pas de la simple isomérie, si nous consentons à scinder la molécule, constituer des corps qui seront acides, bases, alcools, aldéhydes, acétones, etc. Par le fait, tous les corps organiques ayant à peu près la même composition élémentaire, quand nous mettons dans une soucoupe un morceau de craie, de l’eau et du nitrate de soude, nous pouvons avec son contenu les reproduire à peu près tous, et quand nous y aurons ajouté un peu de soufre et de phosphore, nous pourrons même nous élever jusqu’aux substances dont est fait le cerveau de l’homme. Évidemment, le