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et de temps. Pour celui-ci, nous avons vu notamment que les théories mécaniques le supposent réversible, ce qui est assurément préparer son élimination et ce qui nous fait voir d’ailleurs, une fois de plus, que le mécanisme n’est qu’une étape.

Cependant, le processus même de cette élimination ne nous suggère-t-il pas qu’il pourrait y avoir quelque chose de fondé dans l’argumentation de Hartmann ? En effet, si notre entendement postule l’élimination, la réalité résiste, et sa résistance se manifeste par le principe de Carnot (p. 263). Nous n’aurons donc qu’à changer le point de départ du raisonnement et à substituer au mécanisme le principe de Carnot ; la généralité de cette formule ne prouve-t-elle pas que la réalité ne saurait être conçue indépendamment du temps ? Sans doute, dans une certaine mesure. Ce que nous voyons en effet clairement par là, c’est que nous ne pouvons faire abstraction, dans la considération d’un phénomène, des conditions du temps. Mais cela, nous le savions dès l’origine ; nous savions que tout phénomène extérieur était inimaginable pour nous en dehors des conditions de temps et d’espace ; le principe de Carnot exprime simplement cette vérité d’une manière plus nette. La science, sur ce point encore, ne nous apprend rien sur le noumène, elle précise seulement ce fait qu’il y a, entre notre intelligence et le monde extérieur, un accord partiel. On peut partir du fait de cet accord pour conclure à l’existence du monde extérieur, comme l’a fait, entre autres, Leibniz[1] ; mais on peut aussi se servir, comme les philosophes idéalistes, du fait que cet accord n’est que partiel, qu’il y a aussi désaccord, pour démontrer l’impossibilité du même monde extérieur. On peut enfin, comme Kant, tenter une conciliation en supposant que l’accord est dû à des éléments intuitifs mêlés indissolublement à notre sensation. Ce sont là des discussions qui sont du ressort exclusif de la métaphysique.

Il est facile de s’en assurer par l’étude de l’histoire de la philosophie. Si les solutions que les modernes ont proposées pour ces problèmes diffèrent de celles formulées dans l’antiquité ou pendant le moyen âge, c’est plutôt par la forme que par le fond, et il semble que le progrès des sciences physiques ne puisse influer précisément que sur cette forme de la solution. C’est que l’accord et le désaccord dont nous parlons se manifestent dès le sens commun. Nos sensations se présentent

  1. Cf. Couturat. La logique de Leibniz. Paris, 1901, p. 258.