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nisme. Mais d’autre part la science, tout en détruisant la réalité du sens commun, maintient le temps et l’espace. Elle conclut donc à un noumène soumis aux conditions du temps et de l’espace, c’est-à-dire à un système métaphysique déterminé désigné sous le nom de « réalisme transcendantal ».

À la lumière des résultats auxquels nous sommes parvenus, nous ne pouvons évidemment reconnaître cette conclusion comme valable. Constatons d’abord que, contrairement à ce que semble supposer Hartmann, le mécanisme à son tour n’est pas un aboutissement ; ce n’est qu’une étape, tout comme le sens commun, une halte quelque peu artificielle sur un chemin qui n’en comporte pas. Nous avons écarté la plus grande partie des qualités sensibles, les déclarant, avec Démocrite, de convention, nous ne voulons en retenir que ce qui serait strictement nécessaire pour définir un corps. C’est ici que la difficulté se présente : que pouvons-nous retenir logiquement ? Selon la réponse que nous donnerons à cette question, la forme du système mécanique que nous adopterons variera : mais en scrutant les choses à fond, nous arriverons bientôt à la conviction que nous ne pouvons conserver aucune qualité sensible, l’atome ne peut même pas « loger » son impénétrabilité qui est manifestement une « qualité occulte », et le corps s’évanouit dans l’espace, ce qui a pour corollaire logique l’évanouissement de l’espace lui-même et du temps. Dès lors, en appliquant le raisonnement de Hartmann, on conclurait que la science nous amène, non pas à son « réalisme transcendantal » mais à l’idéalisme ou, si l’on veut, au dogmatisme négatif le plus absolu, puisque sa formule serait : rien n’existe ni ne peut exister. Mais nous savons que le mécanisme n’est pas un résultat de la science. La science le confirme dans une certaine mesure, de même que l’expérience de la vie banale semble confirmer le réalisme naïf du sens commun — c’est toujours l’accord entre la raison et la réalité, accord partiel évidemment. Mais le mécanisme est par lui-même antérieur à la science ou, si l’on veut, simultané. Le fait que la science théorique construite à l’aide du mécanisme conserve les notions de temps et d’espace n’a rien d’énigmatique. C’est comme ces jeux numériques faits pour amuser les enfants et où ceux-ci, après toute une série d’opérations compliquées, s’émerveillent de retrouver leur chiffre initial. Enfin, dernier argument contre le raisonnement de Hartmann, on ne peut même pas dire que le mécanisme conserve réellement intacts les concepts d’espace