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nature à l’égard du principe causal. À moins de supposer, comme Spir, qu’il y a dans cet accord une « déception organisée[1] » voulue, on est bien forcé de poser cette analogie, d’admettre une harmonie partielle.

Faut-il s’en étonner ? Sans doute, si nous opposons au monde de notre conscience celui du noumène. Mais il ne faut point oublier que ce n’est là en somme qu’une théorie métaphysique, que c’est nous qui avons créé la conception du noumène et que nous l’avons créée en vue de l’action. S’il reste sans action, il s’évanouit aussitôt, tout comme les dieux d’Épicure, ou l’éther des physiciens si nous le privions de masse. Nous postulons donc l’action en même temps que le concept et par conséquent aussi l’analogie. Si donc, dans ce concept dualiste, l’analogie apparaît comme un miracle, c’est un miracle du même ordre que la sensation.

Mais cette conception n’est pas la seule. Il m’est également loisible de considérer le moi comme une partie du grand Tout ou de juger, au contraire, que le monde entier n’est que ma sensation. « Les montagnes, vagues et ciels ne sont-ils pas une partie de moi et de mon âme, comme moi d’eux ? » dit Byron dans des vers que Schopenhauer aimait à citer[2]. Si nous adoptons une conception de ce genre, l’étonnement disparaît, ou plutôt la difficulté consistera alors à comprendre comment il se fait que l’analogie ne soit pas plus complète, qu’il reste des éléments inconnaissables, transcendants.

Nous voilà encore une fois parvenus sur le terrain de la métaphysique propre. Nous ne pouvons, en effet, esquiver une réponse à cette question : les résultats auxquels est arrivée la science théorique sont-ils de nature à déterminer notre choix entre les divers systèmes que la métaphysique nous propose ?

À cette question, Ed. de Hartmann, dans un ouvrage remarquable[3] a donné une réponse affirmative. Il constate que la science, à l’aide de l’expérience et de l’observation, et en partant des notions du sens commun, arrive finalement à leur substituer une conception entièrement différente, le méca-

  1. Spir, l. c., p. 9, 18, 317.
  2. Are not the mountains, waves and skies a part
    Of me and of my soul, as I of them ?

    Byron. Manfred, cf. Schopenhauer. Die Welt als Wille und Vorstellung, vol. I, p. 213.

  3. Ed. von Hartmann. Das Grundproblem der Erkenntnisstheorie. Leipzig, s. d., p. 21 ss.