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esprit vigoureux peut donc, par simple raisonnement analogique, parvenir à des découvertes scientifiques importantes. En fait, il n’est pas douteux que bien des grandes découvertes sont dues à des raisonnements de ce genre[1]. Il ne faut donc point s’étonner qu’Œrsted, partant des doctrines de la « philosophie de la nature », ait découvert l’électro-magnétisme ; et de même il se peut fort bien que les rapports formulés par M. Ostwald et qui semblent actuellement plutôt des combinaisons numériques, nous mènent à des généralisations de grande valeur.

Toutefois — on peut, semble-t-il, le prédire sans trop de risques d’erreur, — les théories et les hypothèses qui seront à la base de raisonnements de ce genre seront sans doute éphémères. Seul, le fond même du mécanisme, l’explication des phénomènes par le mouvement, est et sera véritablement éternel.

Tant que l’humanité cherchera à développer la science, le mécanisme continuera à se développer avec elle. Le retour au péripatétisme, préconisé avec tant de force et de savoir par M. Duhem, nous paraît impossible. Il ne nous semble pas, en effet, que la pure doctrine d’Aristote ait été une doctrine véritablement scientifique ; elle ne l’est devenue, comme chez les alchimistes, que par une déviation. Nous ne croyons pas non plus que les récents développements de la physique et de la chimie théoriques, comme par exemple les travaux de Gibbs, soient réellement dans le sens de la physique aristotélicienne. Les analogies sont légères et superficielles : la similitude qu’on établit entre le changement d’état et le mouvement est probablement la seule analogie réelle ; encore, sur ce point, la ressemblance est-elle peut-être plus dans les expressions que dans les conceptions des deux doctrines. Quand on nous dit que la théorie moderne considère le changement « en lui-même » comme le faisait Aristote, il nous semble qu’au fond l’analogie tient surtout à une sorte de fait négatif, à savoir à ce que l’une et l’autre ne font pas intervenir les atomes, dont l’intrusion, étant l’expression d’une causalité stricte, aboutit à rétablir l’identité, c’est-à-dire à nier le changement lui-même. Mais les théories modernes du changement ne préten-

  1. Duhem. La théorie physique, p. 50 ss. La thèse de M. Duhem va plus loin, il voudrait établir que « la recherche de l’explication n’était pas le fil d’Ariane ». Les services rendus par le mécanisme nous semblent pourtant bien difficiles à nier.