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parce que reposant sur ce qui constitue les assises de l’esprit humain. De fort grands savants se sont quelquefois écartés sur ce point de la bonne voie. Ainsi, Boltzmann a admis qu’il pourrait être question d’atomes changeants[1]. Il n’y aurait rien à dire contre cette hypothèse si ce physicien avait conçu les atomes (ou prétendus tels) comme composés de particules plus petites qui, elles, demeureraient immuables. Mais, selon toute apparence, il a voulu parler des particules ultimes de la matière, et dès lors sa supposition est inadmissible. Les atomes qui changeraient simplement dans le temps (on ne saurait imaginer rien d’autre), changeraient sans cause : ils ne pourraient donc plus rien expliquer, c’est-à-dire qu’ils perdraient leur raison d’être et, n’étant que des êtres de raison, cesseraient d’exister. De même, il importe de ne jamais perdre de vue que nous ne savons où cesse l’analogie entre le mécanisme ou mieux, la conception causale du monde, et la nature. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est qu’elle doit cesser quelque part. Si donc nous nous heurtons à un phénomène qui ne nous semble pas conforme à cette conception, nous avons sans doute le droit de tout tenter pour l’y faire rentrer, mais il ne nous est pas permis de l’écarter, de le rejeter s’il se montre rébarbatif. Il se peut précisément que l’avenir nous réserve bien des constatations de ce genre. Après avoir longtemps recherché surtout ce qui persiste, la science, depuis que l’importance du principe de Carnot est clairement reconnue, tourne son attention de plus en plus vers ce qui se modifie, vers le flux perpétuel, et il est clair que sur ce terrain les considérations causales seront toujours plus ou moins en défaut.

Dans ces limites, nous dirons avec M. Ostwald[2] que l’identité de la pensée et de l’être postulée par Spinoza, Hegel et Schelling reste le programme de la science, programme vers la réalisation duquel tendent ses efforts. Cette tendance se manifeste par l’influence des considérations causales dont les théories mécaniques constituent une expression particulière.

Il est donc permis de déclarer que la science tend véritablement à réduire tous les phénomènes à un mécanisme ou un atomisme universel, en définissant ces termes de manière à

  1. Boltzmann. Wiedemann’s Annalen, vol. LX, 1897, p. 240.
  2. Ostwald. Vorlesungen, p. 6.