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longtemps[1]. Au xviiie siècle, l’hypothèse de la préformation des germes formulée, semble-t-il, par Leibniz[2], mais qui a reçu sa forme définitive de Haller, a joui d’une grande vogue. À première vue, on serait porté à traiter de simple curiosité scientifique une théorie d’après laquelle à l’origine, à la création, des individus portaient en eux, individualisés, les germes de tous ceux dont devait se composer leur descendance au cours des siècles. Mais des observateurs bien informés nous avertissent que les éléments de cette doctrine se retrouvent jusque dans les conceptions les plus modernes de l’embryologie et que d’ailleurs l’hypothèse de Haller, aussi bien que les théories postérieures, dérivent du même état d’esprit, à savoir du désir que nous éprouvons de substituer à la genèse une épigenèse, c’est-à-dire de traiter le devenir comme une apparence cachant une identité réelle dans le temps[3].

Plus près de nous, vers 1872, M. W. Preyer, physiologiste de renom, a formulé un principe qu’il intitulait « loi de constance de la vie organique », principe qui a donné lieu à de vives discussions, mais a été finalement rejeté à peu près unanimement, parce qu’il était par trop contraire aux faits[4]. Manifestement donc la tendance causale, l’avidité avec laquelle notre entendement saisit tout ce qui a l’apparence d’une proposition d’identité, peut nous induire en erreur et il peut y avoir, de ce côté, un certain danger, danger bien léger pourtant et que le contrôle exercé par l’expérience suffit à écarter.

Est-il possible de tirer, des considérations théoriques qui précèdent, des indications sur les méthodes que doit suivre la science ? Il nous semble qu’à tout prendre nos résultats aboutissent à consacrer les procédés que les savants ont appliqués jusqu’à ce jour plus ou moins consciemment. Ainsi, il faut maintenir dans la science les théories cinétiques.

  1. Cf. Kopp. Geschichte, vol. I, p. 111, vol. II, p. 243 ss.
  2. Cf. Couturat. Revue de métaphysique, XI, 1903, p. 92.
  3. Cf. Le Dantec. Les Néo-Darwiniens. Revue philosophique, XLVII, 1899. F. Houssay. Les théories atomiques en biologie. Congrès de philosophie de 1900, vol. 111, et Appuhn. La théorie de l’épigenèse. Congrès de philosophie de Genève, 1904, compte rendu de Couturat dans la Revue de métaphysique, XII, 1904, p. 1059. — Haller avait du reste lui-même indiqué comme le fondement de sa théorie le principe : « Il n’y a pas de devenir. » Es gibt kein Werden (ib.).
  4. Cf. Dastre. La vie et la mort, p. 245.