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notre connaissance entière du monde extérieur. Aussi avons-nous fait notre possible pour étayer cette conception des principes sur une étude de leur historique et une analyse logique de leur contenu.

Ainsi donc, ce qu’il y a de vraiment apriorique dans la science, c’est d’abord la série de postulats dont nous avons besoin pour la science empirique, c’est-à-dire pour pouvoir formuler cette proposition : la nature est ordonnée et nous pouvons connaître son cours. Toutefois, cette science rigoureusement empirique est une création artificielle et la science n’est pas rigoureusement empirique ; elle est aussi l’application à la nature, par phases successives, du principe d’identité, essence de notre entendement. Mais, de ce principe, nous ne pouvons tirer par déduction aucune proposition précise : c’est ce qui fait qu’il ne saurait y avoir de science pure, contrairement à ce que supposait Kant. En essayant d’expliquer les phénomènes, nous tentons de les plier à ce que postule ce principe, et c’est pourquoi son intervention dans la science se manifeste comme une tendance, la tendance causale.

Nous constatons que la nature se montre, dans une large mesure, plastique, selon l’expression de William James[1], se plie à cette tendance de notre entendement ; nous savons aussi qu’en poussant les choses au bout, nous arriverons à une limite infranchissable. Mais, à l’intérieur de cette limite, rien ne nous permet d’indiquer d’avance où et comment nous pourrons appliquer le principe, donner satisfaction à notre tendance causale. En d’autres termes, si nous savons où l’analogie entre l’ordre des idées et celui des choses, pour parler le langage de Spinoza, n’existe plus, aucun raisonnement a priori ne permet d’indiquer où elle existe. Qu’il s’agisse d’expliquer les phénomènes par le mécanisme, de trouver des formules de conservation, d’éliminer le temps ou de réduire la matière à l’éther, partout nous ne pouvons procéder qu’en étudiant la réalité, en observant, en expérimentant et en essayant d’adapter nos raisonnements aux résultats de ces observations et de ces expériences. Toute proposition causale, explicative, c’est-à-dire visant la réduction à l’identité, trouve notre entendement merveilleusement prêt à l’accueillir, toute paraît plausible ; mais c’est cette préparation qui constitue l’unique élément apriorique de ces propo-

  1. W. James. Le dilemme du déterminisme. Critique philosophique, XIII, 2, p. 274.