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apriorique : le concept de matière inclut pour lui non seulement celui de masse, mais encore celui de poids, de même que le concept de mouvement inclut celui de mouvement uniforme et rectiligne, c’est-à-dire l’inertie.

Kant croit que la science comporte une partie pure, c’est-à-dire purement rationnelle et qui par conséquent est entièrement a priori. Cette partie comprend non seulement ce que nous nommons, depuis Ampère, la cinématique (et ce qui correspond à ce que Kant désignait comme phoronomie), mais encore une partie de la mécanique. Or, il n’en est pas ainsi. Il n’existe pas de mécanique, ni même de cinématique pure. Notre cinématique actuelle suppose le principe d’inertie, y compris la composition du mouvement. Car à quoi servirait de composer des « segments » rectilignes comme on l’a proposé[1], s’il n’était pas sous-entendu que les corps se meuvent en ligne droite et que les mouvements se combinent de cette manière ? Supposons que nous traitions des corps célestes et essayons d’adopter pour eux la théorie qui était encore celle de Copernic, la théorie du mouvement « naturel » en cercle. Évidemment, nous ne retrouverons plus notre cinématique apriorique.

Si l’on tient à faire de la cinématique une science purement rationnelle, sans aucun recours à l’expérience, il reste à la présenter comme hypothétique. À cette condition, elle peut se déduire en toute rigueur, et l’on en sera quitte pour démontrer après coup que ses résultats concordent avec l’expérience. Mais telle n’est pas la pensée de Kant.

Le mérite de Kant dans ce domaine n’en reste pas moins très grand. C’est en suivant ses traces que Whewell est parvenu à préciser avec justesse la manière dont nous devons nous représenter le rôle de la déduction et de l’empirie dans certains énoncés de la science. « C’est un paradoxe, dit-il dans l’introduction à sa Philosophie des sciences inductives, que l’expérience nous conduise à des vérités universelles de l’aveu de tous et apparemment nécessaires, comme le sont les lois du mouvement. La solution de ce paradoxe consiste en ce que ces lois sont des interprétations des axiomes de causalité. Les axiomes sont universellement et nécessairement vrais, mais la juste interprétation des termes qu’ils contiennent nous est enseignée par l’expérience. Notre idée de cause four-

  1. Calinon. Étude critique sur la mécanique. Nancy, 1885, p. 12 ss.