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cher dans la composition de cette eau une particularité expliquant cette action ; au besoin, nous serions forcés d’inventer un élément hypothétique ou une forme inconnue de l’énergie. Si les cérémonies sacerdotales constituaient un adjuvant nécessaire et suffisant, le processus sortirait du domaine de la religion pour entrer dans celui de la magie, car il y aurait un acte déterminé de la divinité. Mais il y a acte religieux, parce que la divinité demeure libre. Le phénomène ne peut être prévu, ni reproduit à volonté, c’est-à-dire qu’il est par essence en dehors de toute science. On peut donc infirmer un miracle, c’est-à-dire établir que le phénomène a été réellement conforme aux lois que nous connaissons ; mais on ne peut démontrer un miracle scientifiquement. On peut, tout au plus, montrer que le phénomène, s’il avait été régi par certaines lois, aurait dû avoir un cours différent. Mais les incrédules auront toujours beau jeu pour soutenir qu’il y a eu des circonstances et des lois restées ignorées.

Il est un peu plus malaisé de dégager le concept de causalité, précisément par suite de la confusion dont nous avons parlé plus haut. Nous en trouvons cependant l’expression très claire dans les écrits de Leibniz, qui rappelle « le principe de la raison déterminante » ou « suffisante ». « Il faut considérer, dit Leibniz, qu’il y a deux grands principes de nos raisonnements ; l’un est le principe de la contradiction qui porte que, de deux propositions contradictoires, l’une est vraie et l’autre fausse ; l’autre principe est celui de la raison déterminante : c’est que jamais rien n’arrive sans qu’il y ait une cause, ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison, a priori, pourquoi cela est existant plutôt que de toute autre façon », et il ajoute : « Ce grand principe a lieu dans tous les événements et on ne donnera jamais un exemple contraire ; et, quoique le plus souvent ces raisons ne soient pas assez connues, nous ne laissons pas d’entrevoir qu’il en a[1] ». Platon, déjà, avait énoncé le même postulat en disant : « Toute naissance sans cause est impossible[2] ; » et Aristote : « La nature ne fait quoi que ce soit sans motif raisonnable ni en vain[3]. » Schopenhauer dans son traité De la quadruple racine adoptera encore la même

  1. Leibniz. Opera philosophica, éd. Erdmann. Berlin, 1840, p. 515.
  2. Platon. Timée, trad. Callet. Paris, 1845, V, 28.
  3. Aristote. Œuvres, trad. Barthélémy Saint-Hilaire. Traité du Ciel, l. II, chap. xi, § 2.